Il y a presque 150 ans, le dramaturge norvégien Henrik Ibsen écrivait Un ennemi du peuple, portrait d’un lanceur d’alerte avant l’heure qui voulait dénoncer la pollution des eaux de la station thermale de son village. D’une furieuse actualité, la pièce a été transformée en opéra par le collectif rémois Io, qui a voulu élargir encore le propos en convoquant une tempête, Xynthia (qui a balayé la France fin février 2010, causant 53 décès), et une déesse de la nature sauvage, Artemis (qui se faisait également appeler « Xynthia »). C’est donc Xynthia que se dénomme l’opéra écrit par le compositeur Thomas Nguyen. Le jeune homme explique ses choix quelques jours avant que la pièce ne soit reprise à Metz, les 9, 10 et 11 février…
L’opéra débute à l’origine de tout, lorsque des atomes d’oxygène et d’hydrogène ont fusionné pour donner de l’eau. Comment avez-vous mis en musique cette scène primale ?
Thomas Nguyen : « Je démarre sur le sol dièse, qui serait la vibration du soleil, avec une transposition évidemment, puisque sa vibration se situe 18 octaves au-dessous. A partir de cette longue pédale de sol dièse, qui représente le début de tout, les éléments commencent à se construire, à se superposer et à danser ensemble, avant de fusionner pour donner une matière sonore plus consistante. »
Avez-vous cherché dans cet opéra une sorte de liquidité musicale ?
Thomas Nguyen : « Oui, d’une certaine façon. J’ai choisi dans mon orchestration des instruments qui me semblent avoir une sonorité assez aquatique. D’abord les ondes Martenot, qui ont un rôle assez important dans la partition, puisqu’elles sont liées aux mouvements du danseur, qui représente l’eau et Xynthia, l’autre nom d’Artémis. Ensuite avec le cristal Baschet, qui ne fonctionne qu’avec de l’eau. Enfin, les clarinettes ont une partition très écrite mais aussi une part plus improvisée, où Juliette Adam travaille au-dessus d’une bassine d’eau. Soit le pavillon est carrément trempé dans l’eau, soit il est juste au-dessus et elle joue avec les vibrations. A cela s’ajoute le Fender Rhodes, la harpe et les percussions ».
Les instruments pour lesquels vous avez écrits ne sont pas ceux de Mozart ou de Verdi. Avez-vous été plus fidèle à la tradition de l’opéra dans votre traitement des voix ?
Thomas Nguyen : « La première apparition des voix est elle aussi assez symbolique. Elle s’inscrit dans le grand développement du sol dièse. Petit à petit, l’harmonie commence à se créer. La première fois qu’on entend les voix, on les entend ensemble, comme un chœur. Elles chantent le « Om » sanskrit, qui serait le son originel. On commence l’opéra comme ça puis l’utilisation de la voix est uniquement liée au texte d’Ibsen. La pièce d’Ibsen est intégralement chantée par les solistes, qui deviennent les personnages de la fiction. »
Vous avez dès le départ pensé Xynthia pour que l’œuvre puisse voyager, puisse sortir de l’opéra pour aller à la rencontre d’autres publics, ce que ne peut pas faire une production classique. Y avait-il également un parti pris écologique dans les choix que vous avez fait ?
Thomas Nguyen : « Le premier choix a été de faire un opéra avec assez peu d’interprètes, puisqu’il n’y a que 11 interprètes au plateau (5 musiciens, 4 chanteurs, une comédienne et un danseur), ce qui correspond à une petite forme. On a mis tout le monde sur scène pour s’affranchir de la fosse d’orchestre, ce qui permet d’aller jouer sur des plateaux de théâtre. Cette question est en ce moment centrale dans notre réflexion sur la diffusion : on commence à s’adresser à des lieux qui ne sont pas des maisons d’opéra, parce qu’on veut décloisonner le genre, qui est un art pour tous, qui mêle le théâtre, la musique et la danse. On essaie modestement, à notre échelle, de faire vivre l’opéra dans d’autres lieux. On ne s’est pas dit au départ qu’on allait faire un opéra écologique. Xynthia est un opéra sur la question de l’eau, de sa rareté. Par cohérence, par éthique aussi, la question de l’écoresponsabilité s’est posée. Quel type de matériau va-t-on utiliser pour les décors et les costumes ? Plus on titre de fils, plus on va loin, parce qu’ensuite on s’est interrogé sur les projecteurs à utiliser, sur la mobilité des artistes et celle des spectateurs… La réflexion globale a grossi au fur et à mesure de nos avancées. On a fait des recherches assez poussées sur toutes ces questions. Très concrètement, la scénographie s’est construite autour de filets de pêche. Ils proviennent de la Méditerranée, on les a achetés à une association qui dépollue la mer. C’est vertueux : ça rapporte des fonds à cette association. Au niveau des costumes, il y a eu une réflexion comparable sur le textile de seconde main : colorants naturels, fournisseurs français, production bio, relocalisation… Ces réflexions, on les a menées conjointement avec les maisons d’opéra coproductrices, en l’occurrence Reims et Metz (les décors ont été fabriqués à Reims et les costumes à Metz). Chaque atelier a accepté de réfléchir avec nous pour savoir ce qu’il était possible de faire. On a l’impression d’être allé assez loin. Il n’y a pas que nous qui avons cette impression puisqu’on a reçu récemment un prix Arviva. Ça nous conforte dans nos recherches. On a envie de faire une petite publication pour mettre en avant les partenaires et leur façon de faire et montrer les solutions qu’on a trouvées ensemble. »
Xynthia est destinée à sensibiliser le public à la préciosité de l’eau. Quels moyens vous êtes-vous donnés pour y parvenir ?
Thomas Nguyen : « C’est le sujet principal : le spectacle parle de la pollution de l’eau. Dans le texte d’Ibsen, tout part de la découverte de la pollution d’une station thermale. Le médecin qui se rend compte de cette pollution lutte pour faire de grands travaux mais il se retrouve en face d’un pouvoir politique assez puissant, qui refuse. On a décidé de mettre ce texte en parallèle avec la tempête Xynthia, avec ce qu’il s’est passé à la Faute-sur-Mer en 2010. Par ailleurs, étymologiquement, Xynthia est le surnom d’Artémis, déesse de la nature. On s’est dit qu’il y avait là un triangle intéressant, dramaturgiquement parlant, entre notre volonté de parler de l’eau, de ses origines à la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui, dans ses différents états, la référence directe à la tempête et la référence à Un ennemi du peuple d’Ibsen. Le texte d’Ibsen résonne dans un contexte d’urgence écologique assez forte, alors qu’il a été écrit il y a 150 ans (c’est d’ailleurs pour ça qu’il est encore si souvent monté au théâtre). Face à tous ces éléments, chaque spectateur peut décider de son propre chemin. Mais nous, de notre côté, on a travaillé avec des ingénieurs, des hydrauliciens et des spécialistes de l’eau. On a mis en place une page ressources sur Internet. On y trouve à la fois des éléments sur le spectacle, des éléments sur la mobilité des spectateurs (c’est un point assez important pour nous ; dans chaque ville qui accueille le spectacle, on met à la disposition des spectateurs les différents moyens de venir sans utiliser de voiture individuelle) et des idées pour une meilleur gestion quotidienne de l’eau. On y trouve plein de conseils pour réduire sa consommation. Avant ou après le spectacle, le public peut donc s’informer. On n’avait pas envie de faire un spectacle moralisateur, de le transformer en un simple outil de sensibilisation, mais, autour, on essaie de créer un contexte, avec des rencontres ou des ateliers, pour parler de la préservation de l’eau dans les territoires qui nous accueillent. »
Photo de têtière : François Mauger Autres photos fournies par l'opéra de Reims
Pour aller plus loin... Le site web du Collectif Io Le site web entièrement dédié à l'opéra Le site web de Thomas Nguyen