C’était en 2021… Un groupe canadien méconnu, The Weather Station, publiait un album délicatement exceptionnel : Ignorance. C’est probablement sur certains de ces titres feutrés que s’est trouvé le mieux exprimé le vertige qui prend la femme ou l’homme qui réalise les conséquences réelles du changement climatique. Ecouter Parking Lot, par exemple, reste une expérience mémorable : la chanteuse y raconte que, depuis le parking d’une salle de concerts, elle a vu un oiseau se poser sur le toit puis s’envoler à nouveau et que ce spectacle lui a fait perdre tous ses moyens. « Est-ce grave si je n’ai pas envie de chanter ce soir ? / Je sais que tu es fatigué de voir des larmes dans mes yeux / Mais n’y a-t-il pas de bonnes raisons de pleurer ? / Je t’assure que ça va » murmure-t-elle ensuite. L’émotion, quatre ans plus tard, reste à la fois infime et immense.
Comment va la chanteuse, Tamara Lindeman, aujourd’hui ? Guère mieux, si l’on en croit le très réussi nouvel album de son groupe, Humanhood. « Je me suis habituée à me sentir folle » sont les premiers mots qu’elle chante, avant d’évoquer une promenade dans la rue « sous une chaleur accablante » et parmi les annonces publicitaires (« Chaque lumière clignotante essaie de vous tromper / De vous mettre de son côté, tout le monde jure qu’ils ont besoin de vous / Et seulement de vous, pour cet achat »). Plus loin, Tamara discute avec une amie qui lui demande ce qu’on peut faire « quand on a été brisée en mille morceaux ». Bien sûr, le morceau qui abrite cette conversation, Irreversible Damage, apporte peu de réponses, à part peut-être le réconfort de la musique, des lignes mélodiques qui s’embrassent, des instruments (une batterie fluide, un synthétiseur taquin, un saxophone…) qui se soutiennent.
Le changement climatique, la destruction des écosystèmes, la disparition des espèces… Tout cela engendre des centaines de millions de drames personnels, de profondes remises en cause, démultipliées encore par la désinformation, le chaos politique et la dépersonnalisation qu’entraînent les derniers développements de l’informatique. De sa voix exquise, toute en retenue, Tamara Lindeman chante les répercussions intimes de ce bouleversement planétaire. Le désespoir n’est pourtant pas le seul horizon d’Humanhood. La musique y est trop luxuriante pour céder au nihilisme. D’ailleurs, sur Lonely, The Weather Station la décrit comme un médicament : « J’aurais dû descendre / Au Southern Cross, n’importe quel soir de la semaine / La salle était là, juste un bâtiment au bout d’une rue / Pour voir Felicity chanter, ou Robin jouer / Assise au fond du bar, ta main sur mon bras / C’est une recette simple, ce médicament vraiment / Qui peut tout laisser entrer / Tout ce que j’ai porté, toute cette honte et cette obscurité en moi / Comme si ça n’avait pas d’importance : nous étions tous assis là, juste à le laisser entrer ».
Et si nous allions nous aussi au Southern Cross, cette petite salle de concert (55 places !) de Toronto, ou dans n’importe quelle autre club, pour prendre notre médicament ?
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de The Weather Station