« L’album imagine ou tente de revenir vers ce que nous ressentions autrefois », prévient Sam Lee, « avant le début de notre séparation de la terre, avant les enclos, avant la conquête normande, avant même les Romains, ces époques successives de traumatisme et d’assujettissement qui ont marqué ce pays, puis leurs répercutions : l’esclavage et l’empire, l’exportation de toute cette brutalité. L’album regarde au-delà de cette perte et tente de récupérer ce sentiment de souveraineté et de permissivité dont je pense que nous avons besoin pour protéger le peu de richesses naturelles qu’il nous reste. »
La musique du Londonien a toujours été liée à cette idée d’un âge d’or qui ne serait pas totalement terminé. Sam Lee l’a d’abord cherché dans les roulottes des dernières familles des gens du voyage des îles britanniques, collectant parmi eux des chants transmis de génération en génération depuis des siècles. Puis, depuis une demi-douzaine d’années, il l’a poursuivi au fond des forêts, après avoir été formé à la vie dans les bois par l’aventurier Ray Mears. Il s’est même mis à y organiser des concerts en compagnie des rossignols, avec ses amis du Nest Collective.
En 2020, son troisième album, Old wow, témoignait déjà de ce tournant. Songdreaming, qui vient de paraître, va plus loin. Désormais, ce pilier du mouvement folk anglais signe tous les textes de ses chansons. Ses mots sont autant de pas à travers des paysages qu’il connaît par cœur mais qu’il ne reconnaît parfois plus. L’album s’ouvre en douceur, à la recherche d’un chant d’oiseau perdu parmi les buissons et les ronces, mais le ciel s’obscurcit vite. L’orage gronde, un nuage de sons discordants couvre la terre. « Sometimes I’m uneasy and troubled in my mind / Sometimes I think we’ve gone too far / To turn it around in time / Sometimes I’m plagued by what we’ll leave behind » (« Parfois, mon esprit est inquiet et troublé / Parfois, je pense que nous sommes allés trop loin / Pour revenir dans le temps / Parfois, je suis tourmenté par ce que nous laisserons derrière nous »), chante-t-il, tandis que la musique dérape.
Le titre qui suit, Meeting Is a Pleasant Place, prend une forme plus positive, celle d’un défi rehaussé par l’intervention d’une chorale transsexuelle, Trans Voices. Songdreaming est un disque sur la quête de beauté en des temps de désastres, entièrement mu par l’intime conviction que l’art peut encore amorcer un processus de guérison avant l’apocalypse. Troublé lui aussi, l’auditeur trouve un peu de réconfort dans l’injonction finale de Green mossy banks : « Let the darkness restore us as seers / I’ll make these pathways my companions / Be witnessed by what cannot be seen / Be peregrine, be pasture, be tiny, be vaster / Be as soft as green moss and be free » (« Laissons les ténèbres nous rendre nos visions / Je ferai de ces chemins mes compagnons / Soyez remarqué par ce qui ne peut pas être vu / Soyez pèlerin, soyez pâturage, soyez petit, soyez plus vaste / Soyez aussi doux que la mousse verte et soyez libre »).
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Sam Lee