Voilà déjà plus de 20 ans que Joakim mène sa barque avec bonheur au cœur de la scène électronique française. Personnage à la fois central et insaisissable, ce musicien a fondé l’un des labels les plus influents du genre, Tigersushi, publié 8 albums, remixé Air et Charlotte Gainsbourg mais n’a jamais commis le genre de coup d’éclat éphémère qui aurait fait rimer sa carrière avec « hier ». Jamais vraiment à la mode, il ne sera jamais démodé. Jamais simple à suivre, il ne sera jamais devancé, ni même imité. Son nouvel album, Second nature, défriche une fois encore de nouveaux chemins…
Sur le site web qui l’annonce, Joakim cite, parmi ses sources d’inspiration, Bernie Krause, Eliane Radigue, Philippe Descola, Emanuele Coccia et T.J. Demos. Soit l’un des maîtres de l’enregistrement de terrain, une compositrice française bientôt centenaire, l’un des anthropologues qui fait le plus sûrement voler en éclats l’imaginaire ligne Maginot entre culture et nature, le philosophe italien qui a écrit sur La vie des plantes, un penseur anglais qui affronte l’anthropocène…
Bref, Joakim lit. Joakim réfléchit. Et Joakim écoute, aussi. Son disque grouille de vie, grâce à une centaine d’enregistrements réalisés du Kenya au grand nord, des côtes des Cévennes à une forêt tropicale. Les principaux vocalistes invités en sont le singe de Brazza (Cercopithecus neglectus), l’orque (Orcinus Orca), une grenouille portugaise (Discoglossus Galganoi) ou le jardinier à huppe orange (Amblyornis subalaris).
Comment peut sonner cette rencontre d’un grizzly et d’un philosophe sur une table de mixage ? Mais comme une continuité retrouvée, une égalité presque restaurée… Ici, aucun instrument n’écrase les animaux. Jamais il ne leur est demandé de se caser entre les barreaux d’une étroite cage rythmique. Tout dialogue avec tout. Mille et un éléments se succèdent harmonieusement dans un désordre savamment organisé, une sorte de jardin à l’anglaise, où l’auditeur flâne, constamment étonné.
Dans ses notes de pochette, Emanuele Coccia évoque justement le mythe du jardin d’Eden. On pourrait lui objecter que l’image que la Genèse en donne (« Adam donna un nom à tout le bétail, et aux oiseaux des cieux, et à toutes les bêtes des champs… ») est peut-être la cause de bien des problèmes. Mais les mots qu’il emploie sont trop troublants pour ne pas être cités : « Chacun de ses habitants tire du plaisir de chacun des autres êtres vivants. La vie sous toutes ses formes y coexiste sans conflit : la seule règle d’association entre les espèces est la jouissance. »
Cette utopie à la fois sonore et philosophique donne envie de prolonger l’expérience. Ce sera possible en début d’année prochaine avec une installation immersive également baptisée « Second Nature » accueillie par le 104. On en reparlera…
Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web qui présente Second nature