Sébastien Gaxie, un compositeur de retour de Guyane

Quand l’animal a-t-il surgi dans la vie de Sébastien Gaxie ? Difficile à dire, tant ce compositeur reconnaît s’être toujours intéressé au travail d’Olivier Messiaen et aux sons du vivant. Une date, pourtant, marque les premiers fruits de cette association, celle de Communication à une académie, musique de ballet présentée pour la première fois en 2010 au Printemps des Arts de Monaco. Repérée dans un film de Wim Wenders, Nick’s movie, la nouvelle éponyme de Franz Kafka narre la vie d’un gorille devenu homme et présentant son parcours à un cénacle de scientifiques. Pour cette pièce, Sébastien Gaxie est lui aussi parti des gorilles, de leurs cris et des coups qu’ils frappent sur leur torse.

Le compositeur a continué dans cette voie, s’inspirant des polyphonies des loups pour Meeting with God at the North Pole, créé en 2013 au festival Les Détours de Babel, parsemant ses deux opéras de références aux chants des oiseaux ou des baleines… En 2022, Auctus animalis a été tournant. Ecrite et mise en musique par Sébastien Gaxie, inspirée de photos de Vincent Fournier et dite par le comédien Denis Lavant, cette fable a non seulement remporté le prix Swiss Life, elle a également permis au compositeur de rencontrer l’écoacousticien Jérôme Sueur.

Depuis, le scientifique a invité son nouveau partenaire en Guyane. « J’ai participé à une expédition avec lui à la station scientifique des Nouragues » relate Sébastien Gaxie. « J’y suis resté 10 jours. J’ai fait des prises de son en ambisonique, avec un micro doté de 35 capteurs, qui permet de restituer un espace en trois dimensions. Grâce à lui, on peut écouter la forêt comme si on y était. Je dois avoir 12 ou 15 heures d’enregistrement. Il faut ajouter à cela cinq années d’enregistrements en stéréo de Jérôme Sueur. Des enregistreurs programmables ceinturés à un arbre, sous et au-dessus de la canopée, enregistrent une minute toutes les dix minutes. Il faut utiliser l’outil informatique pour se promener dans cette énorme base de données et trouver des pépites, qui viendront nourrir les enregistrements en 3D. J’aimerais raconter de façon riche la temporalité de cette forêt. C’est bien sûr irracontable. Tout est complexe. Mais j’ai une résidence de recherche scientifique et artistique à l’Ircam. L’idée est de monter une bande qui serait une sorte de résumé sonore de 45 minutes à peu près. A partir de cette bande, je vais créer un dialogue avec une écriture instrumentale, dans un jeu de mimétisme, un peu comme l’a fait François-Bernard Mâche. La musique viendra en décalcomanie de la bande sonore mais, par moments (et c’est vraiment cette frontière qui m’intéresse), la musique donnera l’impression d’avoir aspiré tout l’espace naturel et d’exister d’elle-même. C’est ce glissement d’un espace naturel à un espace symbolique qui me passionne. C’est une sorte de jeu de miroir entre les possibilités de la musique et la dimension inouïe d’un espace sonore dans la forêt tropicale. »

Sébastien Gaxie présentera cette nouvelle approche au colloque « Ecoacoustique / électroacoustique : analyse, représentations, création, médiation », qui aura lieu les 29 et 30 janvier à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne. Son intervention s’intitulera « Bioacoustique et écoacoustique : modèles pour la composition musicale ? ». « Pour expliquer aux gens la différence entre un bioacousticien et un écoacousticien, je dis souvent que les bioacousticiens étudient un milieu animal par animal » précise le compositeur. « Ils enregistrent l’animal puis, parfois, avec un système de playback, ils lui font écouter son propre son ; en fonction de ses réactions, ils essaient de déduire la signification du son émis. Les écoacousticiens étudient tout un environnement sonore, dans sa globalité. Leur approche est plus statistique. Elle observe l’évolution dans le temps des écosystèmes. C’est lié à des technologies récentes d’enregistrement en continu. »

De son séjour en Guyane, Sébastien Gaxie ramène surtout une envie de repenser les codes du concert. « A certains moments de la journée, des oiseaux d’une même espèce se réunissent en « lek » » se souvient-il. « Les mâles restent à distance les uns des autres. Ils quadrillent l’espace pour séduire les femelles. Vous, l’auditeur, qui êtes à un point précis dans l’espace, vous pensez d’abord que le théâtre à écouter est devant vous mais il est en fait tout autour de vous. Il y a une richesse du vivant, qu’on ne connaît pas en France métropolitaine. La diversité est extraordinaire. Tout d’un coup, vous avez des cosmogonies sonores qui se répondent. C’est très puissant. Cette idée qu’il n’y a pas de centre, j’aimerais la retrouver pendant le concert. J’aimerais perturber cette habitude très forte qui consiste à se polariser sur une scène, sur un événement. »

Il faudra certainement attendre quelques mois encore pour faire l’expérience de cette petite révolution à l’écoute de la nouvelle œuvre de Sébastien Gaxie…

Photos fournies par Sébastien Gaxie
Pour aller plus loin...
La page de présentation du colloque « Ecoacoustique / électroacoustique : analyse, représentations, création, médiation »

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