Quelques notes répétées, comme une ritournelle pop, placées dans la bande-annonce d’un film de 1983, Furyo, auront suffi à faire connaître Ryūichi Sakamoto en dehors de son Japon natal. Suivront d’autres bandes-originales récompensées par des prix internationaux, comme celle du Dernier empereur, des albums en solitaire ou avec des compagnons de jeux tels que David Byrne et David Sylvian, et une aura grandissante de pionnier des musiques électroniques devenu un honorable sage. C’est de ce parcours ascétique que l’Europe se souvient au moment de célébrer la mémoire de l’un des plus grands musiciens des dernières décennies, décédé le 28 mars après une longue bataille contre le cancer.
Son rôle de trublion écologiste mérite pourtant d’être rappelé. Dans un pays – le Japon – où cela ne va pas de soi, Ryūichi Sakamoto s’est en effet très vite engagé. Il a par exemple mené campagne en 2006 contre l’usine de retraitement de combustible nucléaire de Rokkasho, dans le nord de l’île principale, et son intervention a été si marquante que la construction de l’usine a pris près de 20 ans de retard (aux dernières nouvelles, elle ne serait pas terminée à l’heure actuelle).
L’accident nucléaire de Fukushima, en mars 2011, l’a naturellement ulcéré. Il a répliqué en organisant un festival de deux jours, « No Nukes 2012 », avec 18 groupes, dont son Yellow Magic Orchestra et ses amis de Kraftwerk.
Entre temps, il avait trouvé le temps de fonder l’organisation More Trees, une association qui tente de reconnecter les humains aux forêts, avertissant « Là où les forêts s’effondrent, les civilisations aussi. Les forêts qui s’effondrent dans le monde entier semblent nous avertir de l’endroit vers lequel se dirige la civilisation humaine. »
Ces engagements s’entendaient dans sa musique, quoique de façon très délicate. L’album Out of noise, publié en 2009, s’inspirait d’un voyage à Disko Bay, au Groenland, avec l’association Cape Farewell. Il avait pu y constater la fonte de la banquise et plonger ses micros sous l’eau. Plusieurs de ses installations, comme sa Forest Symphony, présentée dans le cadre de l’exposition « Art-Environment-Life » de 2014, se nourrissaient de la recherche sur les sons de la nature.
L’une de ses dernières interventions publiques concernait la zone de Jingu Gaien que la municipalité de Tokyo souhaite réaménager en abattant plusieurs centaines d’arbres. La lettre au gouverneur de Tokyo, dans laquelle il écrit « nous ne devrions pas sacrifier les précieux arbres de Jingu que nos ancêtres ont passé 100 ans à protéger et à entretenir », est vue par nombre de Japonais comme sa dernière volonté. Sera-t-elle exaucée ?
Image de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web de l'association More trees