« J’ai le souvenir d’un homme particulièrement communicatif, enthousiaste et donc enthousiasmant. J’ai immédiatement compris dans quelle mesure il avait pu représenter un catalyseur d’une aussi grande importance pour un bon nombre de chercheurs et de musiciens des générations suivantes » raconte le compositeur et essayiste Jean-Yves Bosseur.
Comme lui, nombre d’artistes prennent la plume après le décès de Raymond Murray Schafer.
Le compositeur Bernard Fort, qui l’a rencontré à deux reprises à la fin de sa carrière, reconnaît : « R. Murray Schafer a compté pour moi, comme il a compté pour nous tous, directement ou indirectement, dans la mesure où il participait à l’ouverture de portes qui rendaient accessibles nombre de domaines que nous continuons à explorer. Je peux témoigner que l’énorme pavé qu’il a lancé dans la mare, sous la forme du fameux livre consacré au paysage sonore, a fait beaucoup de bruit à l’époque où je me lançais dans la musique et que cet ouvrage a alimenté nombre de débats riches en conséquences ».
Ce livre, The Soundscape, the Tuning of the Word (en français : Le paysage sonore, le monde comme musique), a également été déterminant pour Gilles Malatray. « Mon parcours mêlant des pratiques autour de l’horticulture paysagère et de la musique a alors pris tout son sens, le paysage sonore se plaçant pour moi au croisement idéal de ces expériences pour promener mes oreilles curieuses ici et là » se remémore celui qui se décrit aujourd’hui comme un « paysagiste sonore ». « La lecture de sa « bible auriculaire», ouvrage fondateur et initiateur de nombreuses structures et projets autour de la chose sonore environnementale, sa rencontre lors d’une Semaine du Son, ont été pour moi de vivaces sources d’inspiration. Et le sont encore plus que jamais ! Des jeux sonores à l’analyse d’acoustiques remarquables, de parcours en cartographies sensibles, d’inventaires en inaugurations de points d’ouïe, de créations sonores en récits radiophoniques, ses travaux et recherches ont impulsé de nouvelles façons pour moi d’écouter le monde, de bien ou de mieux s’entendre avec la ville, les lieux de vie, les espaces arpentés… »
« Ce qu’a proposé en particulier Schafer, c’est « d’écouter le monde comme une vaste composition musicale – une composition dont nous serions en partie les auteurs ». » explique Jean-Yves Bosseur, qui a eu la chance de produire un portrait du compositeur canadien pour France Culture. « En collaboration avec une équipe de chercheurs, il a ainsi analysé de manière quasi systématique les composantes essentielles de notre environnement acoustique, passant au crible l’éventail des phénomènes sonores au sein desquels nous vivons, qu’ils soient liés au monde naturel ou industriel. Il a notamment constaté que la révolution industrielle et électrique constitue « une terrible et fascinante rupture qui transforme radicalement notre rapport au son, à la musique et au silence, mais nous rend aussi désormais capables de mettre en œuvre un authentique design sonore, maîtrisé et conscient, basé sur les principes de l’écologie sonore ».
« Dans une conception qui n’est pas sans portée utopique », continue-t-il, « il visait une « réorchestration de l’environnement du monde », préconisant « le rapprochement des disciplines qui s’intéressent aux sons d’un point de vue scientifique de celles qui en ont une approche artistique ». Schafer s’est notamment penché sur les effets préjudiciables des sons technologiques sur les êtres humains, surtout sur ceux qui vivent dans les « égouts sonores » que sont les milieux urbains. Ses opuscules The Book of Noise et The Voices of Tyranny sont des plaidoyers fortement engagés dans cette voie, Schafer réclamant une législation contre le bruit et une amélioration de l’environnement sonore dans les villes par l’élimination ou la réduction des sons nuisibles, voire potentiellement destructifs ».
« En tant que compositeur, Schafer a créé plusieurs œuvres en rapport avec la question de l’environnement, dans lesquelles il vise une plus grande participation de la part du public que l’écoute traditionnelle et une conscience accrue de la conjonction entre le sonore et le visuel » ajoute Jean-Yves Bosseur, qui donne en exemple le « prologue de Patria (cycle de douze pièces musico-dramatiques amorcé en 1966), intitulé The Princess of the Stars, créée en 2007 dans la réserve forestière et faunique d’Haliburton (Ontario) ».
« Je ne le connaissais pas personnellement mais j’ai eu l’honneur de chanter sa musique devant lui il y a une vingtaines d’années, à l’occasion d’une tournée au Canada, où il résidait » se souvient le chef d’orchestre Léo Warynski. « C’est un compositeur qui a profondément marqué la musique pour chœur. J’admire notamment la beauté graphique de ses partitions, qui, en plus d’être des tableaux inspirants, sont des labyrinthes dont j’aime chercher à dévoiler les significations. Sa musique doit beaucoup à son rapport avec la nature, et les forces qui la traversent. Il y a chez lui une corrélation forte entre l’œuvre et le combat pour l’environnement. Sujet au combien brûlant aujourd’hui… Sa musique reste. Le message qu’elle porte également. Et je suis fier de pouvoir porter tout un programme en son honneur dans quelques semaines en concert au festival Musica ».
« Immense merci donc, Raymond Murray Schafer », conclut Gilles Malatray, « de cette belle ouverture qui, je l’espère vivement, n’est pas prête de se refermer ! »
Pour continuer... Retrouvez ici les articles dans lesquels R. Murray Schafer est cité. Retrouvez également son livre sur cette page.
Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Ecouter le vendredi 24 septembre le concert des Métaboles, le chœur de Léo Warynski, en hommage à Raymond Murray Schafer, au festival Musica