Philippe Prohom a égaré son prénom quand il s’est lancé dans la chanson. C’était au tournant du siècle. Un album chez Polydor / Universal en 2002, l’année où les ventes de CD ont commencé à chuter, un tube doux-amer, Ça oublie d’aimer, beaucoup de concerts puis quelques revers… En 2021, tout cela est bien loin, lorsqu’il publie Brille après près de 8 ans de silence. Et Brille est effectivement souvent brillant. Ses neuf titres parlés-chantés sur un fond d’électro bouillonnante visent juste et frappent fort, là où on ne s’y attendait pas. Prohom pilonne une humanité qu’il ne peut s’empêcher d’aimer sur l’un des disques les plus farouchement écologistes du moment. Entretien…
C’est beau, le premier titre de ce nouvel album, prend par surprise. Insidieusement, dans cette évocation de la place de l’humanité dans le monde, se glisse une phrase insistante : « Il y a quelque chose qui ne va pas ». C’est une phrase que vous vous dites souvent ?
Prohom : « Non, ça va plutôt bien, merci… (rires)… C’est étonnant parce que tout le monde pense que, dans cette chanson, je parle d’un couple. Tout le monde pense que c’est une chanson de rupture. Je suis content que vous l’ayez comprise différemment, parce que ce n’en est pas une. Je dis que le monde est beau mais que quelque chose ne va pas. Je demande « C’est nous ? ». Et, oui, c’est nous. C’est l’humanité qui n’est pas à sa place dans cette nature où tout est cadeau, où tout est là. On est en train de tout détruire. Parmi toutes les espèces animales et végétales, on est bien les seuls à avoir ce genre de comportement. Il y a certainement des endroits où la nature est détruite par d’autres espèces mais c’est un déséquilibre passager, involontaire. Nous, il semblerait qu’on ait une conscience et qu’on pourrait faire différemment. Mais, cette conscience, on ne s’en sert pas… »
C’est, pour moi, une chanson sur le paysage, qui rappelle que pour qu’on s’aperçoive que « quelque chose ne va pas », il nous faut, nous aussi, nous rendre sur place…
Prohom : « Dans cette idée de destruction de l’environnement, il y a quand même quelque chose – c’est paradoxal – qui me semble naturel et inéluctable. J’ai l’impression qu’il faut qu’on passe par cette phase. On est tous paradoxaux. Je suis moi-même paradoxal : je vous parle avec mon smartphone. Je n’en change pas tous les six mois mais, tout de même, je fais partie de cette force de destruction. Dans quelle mesure est-on prêt à changer de comportement pour que ça change ? Moi y compris ? Peut-être que ce monde est destiné à être détruit par l’humanité. Nous laisserons place à un autre monde, plus tard. On sait qu’on n’est pas la première civilisation sur cette planète. Moi, j’ai confiance en la vie. J’ai plus confiance en la vie qu’en l’humanité, avouons-le… »
Brille pour toi aborde frontalement la question de la transmission à ses enfants d’un monde en voie d’effondrement. C’est un message à votre propre enfant ?
Prohom : « Oui, tout le deuxième couplet s’adresse à ma fille, Anna. C’est marrant, parce que cette chanson, je l’ai écrite, je l’ai enregistrée et je ne l’ai plus jamais touchée. J’ai refait la voix en studio parce que l’ingénieur du son qui mixait l’album m’a dit « Techniquement, l’enregistrement n’est pas bon ». Aujourd’hui, c’est une chanson que je ne peux pas écouter sans pleurer. Ma fille Anna pleure à chaque fois qu’elle l’écoute, elle aussi. Elle l’a pris comme un très beau cadeau. Je pense qu’elle pleure parce que c’est un cadeau, parce que je m’adresse à elle, parce que c’est son héritage, parce que ce sont mes conseils : briller, ne jamais cesser d’avoir foi en la vie, se tourner vers le beau, se nourrir du beau… Ce message-là est émouvant pour elle, parce qu’il est direct et qu’il vient de moi. Mais il y a aussi tout ce qu’il y a derrière. Elle a 21 ans et que sera son monde dans 50 ans ? Je pense à elle et je me demande dans quel monde elle va évoluer. »
« Sans elle, tu n’es rien sans elle / De nature on a besoin » chantez-vous dans une autre très belle chanson… Aviez-vous dès les premières notes le projet de réaliser un album aussi écologique ?
Prohom : « Oui. Quand j’ai commencé à composer l’album, je me suis demandé ce qui était le plus important pour moi. Il y avait deux choses. D’abord la nature (et notre rapport à elle). J’ai dit « OK, cet album ne parlera que de ça ». Ensuite, la parole des femmes, qui sont sous-représentées. Cet album a été conçu il y a six ans, bien avant l’explosion d’un néo-féminisme sur Internet. Ce devait être un album de duos mais les événements de ma vie m’ont fait changer mes plans. Mais, oui, quand j’ai commencé l’album, je me suis dit que son cadre serait ce qui est le plus important pour moi : le rapport à la nature. Je n’ai écrit que dans cette direction. En fait, je m’étais donné deux cadres, ce cadre d’écriture et un cadre technique : je ne voulais travailler qu’avec mon ordinateur et ma voix, sans intervention extérieure. Aller au plus personnel dans un cadre limité techniquement. Je ne l’avais jamais fait. J’ai trouvé ça très agréable, et dans l’écriture et dans la composition. Le troisième objectif était de ne porter aucun jugement a priori sur ce qui venait, de ne répondre à aucun format. C’est pour ça que le premier titre, Dessus et Regarde ne sont pas de la pop avec des couplets et un refrain. J’adore la pop, j’y reviens toujours. J’aime les chansons lisibles, abordables. Je me retrouve souvent avec des chansons de 3 minutes 30, parce que ça correspond à mes goûts. Néanmoins, je ne souhaitais aucune contrainte. Pour la première version de C’est beau, par exemple, je ne m’étais pas bridé, le texte faisait trois pages. Depuis, j’ai enlevé tout ce qui était de trop. »
Vous avez un parcours exceptionnel. Vous avez beaucoup marché, beaucoup voyagé, appris beaucoup de choses… Cela s’entend dans vos paroles. Mais cela s’entend peut-être moins dans vos arrangements, très soignés mais majoritairement synthétiques. Est-ce un décalage délibéré ?
Prohom : « C’est un décalage conscient. J’ai bien conscience que je parle de la nature et que je suis en face d’un ordinateur, pas de morceaux de bois ou de bambou. Pourquoi ? Parce que c’est ma culture. Je viens de la variété anglo-saxonne. C’est ce que mon père m’a fait écouter. Il a essayé de me sensibiliser à la musique classique et à la chanson française traditionnelle (Brel, Ferré, Brassens et tout ça) mais je ne m’y suis jamais intéressé. Par contre, quand sont arrivés les synthétiseurs, ça m’a tout de suite plu. Je parle de Jean-Michel Jarre dans mon enfance puis de groupes comme Depeche Mode dans les années 80. J’ai toujours aimé les sonorités électroniques. Ce que j’adore, c’est travailler avec des samples, des ordinateurs. Je n’ai jamais appris la musique, je n’ai jamais travaillé un instrument, à part ma voix (parce que j’ai fait énormément de concerts, il fallait que je la protège). Ma musique vient de ma culture. Je sais qu’il y a plein de gens qui sont sensibles à la protection de la nature et qui la défendent dans leurs chansons avec des musiques plus acoustiques, avec des instruments plus organiques. Mais ce sont des musiques que je n’écoute pas. Je me mets aux musiques de relaxation mais elles sont majoritairement synthétiques aussi. J’ai quelques musiques de soin (parce que je soigne par le magnétisme) qui utilisent des bols tibétains mais c’est assez rare. En tout cas, j’apprécie peu la musique que font, par exemple, Tryo ou les amateurs de djembé, de guitare acoustique et de didgeridoo… »
Vous êtes récemment devenu magnétiseur. Est-ce que cela a une influence sur votre musique ? Ou, inversement, est-ce que la musique a une influence sur les soins que vous prodiguez ?
Prohom : « Je remarque que j’écoute moins de rock et de pop chez moi. Je continuer d’en écouter en conduisant, très fort. Chez moi, j’écoute énormément de musique de relaxation. J’ai mon potager à côté, j’ai ma serre, j’ai cette maison en bois, j’aime bien les nourrir de ces vibrations. Mais je ne crois pas que ça ait influencé ma façon d’écrire ou de faire mes disques. »
Photo de têtière : Cénel et François Mauger