Jack Cooper n’emploie pas de langue de bois. Le chanteur et guitariste de Modern Nature vient de publier un nouvel album, Island of sounds, très bien reçu par la critique anglophone. Mais, même au sein d’un label aussi bien établi que Bella Union, à l’orée de la gloire, il conserve une sorte de modestie de l’artisan. Lorsqu’on l’interroge sur son choix de faire presser le disque sur du vinyle recyclé, il ne s’en enorgueillit pas outre mesure : « Le disque a été fabriqué à partir de chutes d’autres disques. C’est donc du recyclage. Mais, dans le passé, quand les consommateurs se satisfaisaient de n’avoir que des disques noirs, les chutes étaient recyclées et utilisées pour d’autres sorties sans qu’on en parle. Aujourd’hui, tout le monde veut des disques colorés en édition limitée, il y a donc beaucoup de déchets. Tout cela est plutôt absurde, pour être honnête… Si l’on y songe, le retour du vinyle comme support de la musique est bizarre. Nous devrions nous concentrer sur la limitation de notre empreinte carbone. Des technologies sont là pour que les mélomanes accèdent à la musique sans passer par un produit physique. Pourtant nous en sommes là, en train de collecter les chutes de vinyle. Ceci est évidemment une réponse à la cabale des start ups et des grands labels qui ont voulu réduire la musique à un contenu pour lequel ils ne paieraient pas les artistes. »
Jack Cooper est ainsi, à la fois idéaliste et réaliste. Il pave son chemin de petits gestes et de grandes ambitions. Un autre petit geste, par exemple : la pochette du disque. Elle a été conçue par l’illustratrice Sophy Hollington à la demande de Cooper qui voulait « une représentation variée de la vie sur les îles britanniques, avec un éventail d’espèces indigènes, non indigènes et éteintes ». Sophy Hollington a également participé au livre qui accompagne le disque, aux côtés du poète Robin Robertson, du biologiste spécialiste des champignons Merlin Sheldrake ou du critique Richard King, auteur d’un livre sur la relation entre paysage et musique en Grande-Bretagne…
Voilà pour les petits gestes ! Mais les grandes ambitions de Modern Nature se situent du côté de la musique. Après avoir écrit une citation de Shakespeare sur le mur de son atelier, « Be not afeard, the isle is full of noises » (« N’ayez pas peur, l’île est pleine de bruits », un vers tiré de La Tempête), Jack Cooper s’est lancé avec ses deux acolytes dans la peinture d’un environnement inventé. « J’ai imaginé le paysage de l’île et comment il allait changer et se déplacer à travers le disque » explique-t-il dans les notes de pochette. « Ma guitare, la batterie de Jim Wallis et la basse de John Edwards représenteraient un paysage en évolution lente que d’autres instruments viendraient colorer. Les forêts, les vallées et la vie seraient représentées par un orchestre d’improvisateurs et de musiciens classiques ». Le légendaire saxophoniste Evan Parker, aujourd’hui âgé de 78 ans, le pianiste Alexander Hawkins, le bassiste John Edwards et la violoniste Alison Cotton, du groupe The Left Outsides, enluminent les compositions des Cooper, tandis qu’il chante à voix basse des histoires de catastrophes naturelles et de développement incontrôlé. Refusant de choisir entre pop à la Talk Talk, folk-rock cotonneux et free-jazz bucolique, ces musiciens bâtissent un monde en modèle réduit. Nous y contemplons nos crises mais, dans le même mouvement, nous y entendons résonner l’écho d’une profonde bienveillance. Le vœu shakespearien s’accomplit : grâce aux musiciens, cette île de sons nous laisse sans craintes.
A écouter : « Island of sounds » par Modern Nature (Bella Union)
Image de têtière : François Mauger