Perte de Jean-Claude Roché : le témoignage de Patrick Frémeaux


Jean-Claude Roché est mort le 1er avril 2025, à l’âge de 94 ans, dans une certaine indifférence. Il était pourtant un pionnier de l’enregistrement en pleine nature, dont les bandes ont notamment inspiré le compositeur Olivier Messiaen. Spécialiste du patrimoine sonore, Patrick Frémeaux a réédité son catalogue et même publié une sorte d’autobiographie, sous la forme de trois heures et demi de confessions recueillies par Bernard Fort. L’éditeur a spontanément livré ce témoignage :

« Jean-Claude Roché (1931–2025) s’est éteint. Avec lui disparaît l’un des grands aventuriers du son sauvage, un homme qui, toute sa vie, aura prêté l’oreille au vivant comme d’autres lèvent les yeux vers les étoiles. Capteur des voix invisibles, interprète de la forêt, des marais et des cimes, il fut à la fois scientifique, chercheur, pédagogue et poète. L’un des tout premiers au monde à faire de la prise de son naturaliste non un outil de documentation, mais une discipline à part entière, alliant rigueur, intuition et engagement éthique.

Son chemin commence là où personne ne l’attend : dans les années 1950, il finance son premier matériel portable en capturant des crapauds destinés aux laboratoires qui testent la grossesse. Très vite, cette activité le heurte. Il la quitte pour suivre un appel intérieur plus vaste : écouter les chants du monde sauvage. En 1969, son premier disque Camargue — hommage aux oiseaux de la Méditerranée — reçoit le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. C’est une révélation : Jean Roché devient preneur de son à plein temps, statut alors inédit.

Pendant plus de cinquante ans, il enregistre oiseaux, insectes, amphibiens, mammifères et paysages sonores dans toutes les latitudes. De l’Afrique australe à la taïga sibérienne, du bocage au glacier, il collecte les voix du vivant. Plus d’une centaine d’enregistrements, aujourd’hui disponibles chez Frémeaux & Associés — qui a réuni son œuvre depuis 2007 — témoignent de cette odyssée sonore, parmi lesquels un ensemble de trois heures d’entretiens avec Bernard Fort dans le coffret Audio-naturaliste.

À la frontière de l’Isère et de la Provence, il fonde Sittelle, maison d’édition pionnière et refuge pour chercheurs, ornithologues et passionnés venus des quatre coins du monde. Là, il crée le CEBA (Centre d’Études Bioacoustiques Alpines), forme une centaine d’élèves, et structure les bases de ce qui deviendra en France une école audio-naturaliste reconnue. Son travail va inscrire son éditeur Frémeaux dans des projets scientifiques essentiels, comme la sanctuarisation de forêts dédiées aux oiseaux par « Forêts et Campagnes d’Avenir », ou Acoucène, programme du CNRS modélisant les paysages sonores face à l’anthropocène pour étudier le comportement de l’avifaune.

Mais Jean Roché ne fut jamais un simple technicien du son. Il fut un penseur du langage animal. Il étudiait, comparait, repassait les sons dans la nature, observait les réactions, décryptait les nuances des cris d’alarme ou d’amour, distinguait si le danger vient du ciel ou de la terre. Il traquait les fréquences inaudibles, révélait les ultrasons des sauterelles alpines, redonnait une voix à l’invisible.

Lié à Olivier Messiaen, compositeur mystique et ornithologue du clavier, et à Jean Rostand, grand biologiste, Roché partageait leur foi commune en une science habitée par la beauté. Rostand disait de lui : « Jean-Claude Roché est un vrai naturaliste, c’est-à-dire qu’il est aussi un poète. Habile, sagace, enthousiaste, il excelle à observer les mœurs des animaux, pour en fixer un sûr témoignage. Chacune de ses œuvres nous apporte un morceau vivant de la libre nature. »

Fils d’Henri-Pierre Roché — auteur de Jules et Jim, immortalisé par Truffaut — Jean Roché hérite d’une indépendance rare. Grâce aux œuvres d’art moderne collectées avec Ozenfant, il peut vivre comme un naturaliste du XIXe siècle : libre, curieux, profondément immergé dans le monde naturel.

Il laisse une œuvre immense, fondatrice : celle d’une bioacoustique humaniste, qui articule sensibilité, science et transmission. Il nous lègue plus qu’un patrimoine sonore : il nous laisse un art de l’écoute. Un art de se relier au vivant. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Les enregistrements de Jean-Claude Roché aux éditions Frémeaux & Associés

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