Le succès du podcast est l’un des phénomènes majeurs de ces dernières années. Plus de 17,6 millions de Français en écoutent chaque mois. Dans ce flot de sons de tous types, le documentaire sonore se démarque souvent par ses qualités esthétiques, surtout lorsqu’il est réalisé par des artistes tels que Péroline Barbet. Son documentaire La piste animale, prix de l’œuvre sonore 2022 de la SCAM (la Société civile des auteurs multimédia), est diffusé à Lyon dans le cadre du festival Vrai de vrai. L’occasion de parler avec elle de son art…
Le titre du documentaire renvoie à celui d’un livre de Baptiste Morizot, abondamment cité d’ailleurs : Sur la piste animale. Etait-ce votre point de départ ?
Péroline Barbet : « Non, il n’est pas arrivé dès le début de cette histoire. J’avais commencé une série de portraits d’animaux. C’étaient des pièces courtes, de petits fragments nés lors de résidences à gauche et à droite, notamment dans les Ardennes, dans le Lubéron et dans le Jura. J’avais ces petites pièces, qui faisaient de 2 à 10 minutes, et je cherchais un fil narratif. C’est là que j’ai lu Sur la piste animale. Ce livre m’a tout de suite passionné. J’ai d’abord pensé à faire des lectures, mais ça n’allait pas. J’ai alors commencé à réfléchir à un dispositif radiophonique, qui pourrait faire rentrer des fragments de ce texte dans la pièce. Le livre de Morizot amenait une autre dimension ; la dimension du pistage, avec celle de la métamorphose progressive de celui qui se met dans les traces d’un sanglier ou d’un cerf. Il y avait aussi une dimension philosophique, avec sa réflexion autour de notre manière de vivre ou plutôt de ne pas vivre avec le vivant. C’est ce texte qui m’a permis de donner une unité aux petits éclats sonores que j’avais déjà réalisés. »
Ces éclats sonores étaient nés de rencontres avec des passionnés de la vie sauvage, des pisteurs. Cet univers vous était déjà familier ?
Péroline Barbet : « Ce ne sont pas que des pisteurs. Ce sont avant tout des habitants, des gens qui ont un rapport de proximité avec leur environnement et donc avec la faune sauvage. La notion de pisteur arrive avec le livre mais, très concrètement, j’ai rencontré des chasseurs, un photographe animalier, un ancien chasseur qui est maintenant à la LPO… Ce sont des gens qui pratiquent l’art de l’observation et qui ont noué une relation intime, subjective, personnelle, avec des animaux. Ce qui m’intéressait, c’était cette parole quotidienne. On est un peu saturé par la parole scientifique sur la nature et son corollaire de chiffres, statistiques, pourcentages qui affolent les compteurs et qui ne parlent pas forcément à nos sensibilités. Je voulais renouer avec une sorte de savoir populaire, écouter des gens parler des animaux dont la présence est familière, les entendre témoigner d’une expérience concrète, dans un territoire habité par d’autres qu’eux-même. »
Est-ce que cela recoupe votre quotidien à vous ?
Péroline Barbet : « J’habite Villeurbanne. J’ai réalisé ce documentaire au moment du Covid, en situation de confinement. Donc, deux fois non. Mais je pense que cette pièce parle d’une aspiration, d’une fascination. A vrai dire, le monde animal m’intéresse, mais j’ai aussi un énorme intérêt pour les personnes et leur parole. Ce documentaire est aussi un travail sur la parole, sur les manières de dire notre affection, notre attachement. Je suis fascinée par les adjectifs, par la manière avec laquelle l’observation est faite et donnée au micro. »
Cette attention à la parole amène à la pièce sa forte musicalité, que vous avez renforcée avec des virgules instrumentales. Comment avez-vous combiné ces éléments ?
Péroline Barbet : « En fait, chaque personne parle d’un animal en particulier. Pour garder une forme de mystère et de suspense, j’ai soigneusement coupé au montage le nom des animaux en question. L’animal apparaît progressivement aux auditeurs par ses qualités : la masse, la taille, le pelage, le lieu où il vit, les traces qu’il laisse dans le paysage… pour faire travailler l’imaginaire. Puis j’ai cherché à créer un univers sonore qui évoque chaque bête. J’ai travaillé à partir de sons d’accordéon pour l’escargot, parce que le soufflet me faisait penser à son déplacement. Il y a aussi pour le lynx une atmosphère très western, inspirée du début d’Il était une fois dans l’ouest : la scène de l’attente du train, à la gare. Il y a aussi une scène un peu Hitchcockienne avec les sangliers. Ces évocations laissent place à l’exagération, à l’interprétation, au fantasme, à la fantaisie… on quitte l’univers de l’audionaturalisme pour forcer les portes du légendaire»
Est-ce que vos prochains projets vous ramèneront vers des pistes animales ? Ceux que vous proposez à l’écoute sur votre site dirigent plutôt l’auditeur vers les musiques traditionnelles…
Péroline Barbet : « J’aimerais bien. J’ai fait une résidence l’année dernière sur le territoire de Forcalquier. On a travaillé sur les animaux en hiver. Une pièce a été diffusée au festival Numéro Zéro. Elle s’appelle Passer l’hiver. J’aimerais travailler sur le dérèglement climatique et sur ses effets, notamment à travers les paroles concrètes des gens, mais c’est une tâche assez difficile. Je travaille beaucoup sur la question de l’oralité, du patrimoine oral au sens large. Mon travail est donc plus tourné vers les questions musicales ou patrimoniales que vers la notion de nature. Mais il y a des échos. Sur Piste animale, les paroles des habitants ressemblent un peu à une rumeur collective, mes bêtes ressemblent un peu aux animaux fantastiques qu’on retrouve dans les contes. C’est là que je vois des liens avec mes autres réalisations. »
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Portrait de Péroline fourni par l'artiste
Pour aller plus loin...
Le site web de Péroline Barbet
La page Facebook du festival Vrai de vrai