Dans l’autobiographie qu’il a publiée en 2012, Neil Young s’étend longuement sur sa passion pour les voitures américaines millésimées. Dès les premières pages, il s’enthousiasme pour une Buick Skylark de 1954 et il finit le dernier chapitre au volant d’une Lincoln Continental. World Record, son nouvel album, s’achève aussi par l’évocation d’une automobile, une Chevrolet, chantée sur un morceau de 15 minutes. Pourtant, quelque chose a changé. Neil Young – qui a toujours été un farouche partisan de l’écologie, depuis ses débuts sur la scène hippie de la côte ouest jusqu’à ses participations récurrentes aux galas de soutien aux fermiers (Farm Aid, un événement annuel jusqu’en 2015) et ses attaques contre le géant des pesticides Monsanto – a changé de ton. Le chanteur bientôt octogénaire revient sur les 50 dernières années. Il se souvient que c’est dans une Corvette qu’il a appris qu’il allait être père. Tout en célébrant la liberté avec laquelle il a vécu, il annonce que l’époque a changé. « Adieu aux autoroutes bondées, au revoir aux routes du passé / Je ne les trouverai plus que là où elles vivent en moi » constate-t-il à chaque refrain.
World record n’est donc pas un album qui encense les grosses cylindrées mais, très prosaïquement, comme son titre l’indique, un disque consacré à la planète. Neil Young l’a écrit au cours de promenades avec son chien, en enregistrant sur son téléphone les mélodies qu’il sifflotait. Lorsqu’il a commencé à leur adjoindre des textes, il s’est aperçu que chaque chanson parlait de l’environnement. Pas de façon politique, plutôt de façon personnelle : l’homme aux 21 disques d’or se désole du changement climatique, pleure ce qui s’est perdu au fil des décennies et place ses derniers espoirs en notre capacité à aimer.
Le disque a été enregistré avec son groupe fétiche, Crazy Horse, dans sa nouvelle version, c’est-à-dire sans le guitariste Frank « Poncho » Sampedro, qui a pris sa retraite en 2014, remplacé par Nils Lofgren. Les chansons ont été captées par Rick Rubin dans l’ordre où elles apparaissent sur le disque. L’album s’ouvre donc en douceur, sur un Love Earth à la fois moelleux et dégingandé, et les amplificateurs chauffent peu à peu, parvenant à leur plein régime à partir de The world (is in trouble now) et risquant l’explosion sur le jubilatoire et final Chevrolet.
Fin novembre, Neil Young a admis, lors d’un entretien accordé au New Yorker, que la retraite « ne semble plus hors du champ des possibles ». On ne peut que se réjouir qu’il ait pris le temps d’enregistrer ce disque avant de penser à s’arrêter…
Photo de têtière : François Mauger