Est-ce que cela a toujours été ainsi ? Mystère… En tout cas, depuis l’avènement du streaming, la musique, pour plaire, se doit de rendre service. Son objectif, sa fin, doit pouvoir s’exprimer en quelques lettres : rythmer la course à pied, accompagner des mondanités… Les playlists qui ont le plus d’abonnés sur Spotify s’intitulent donc « Les chansons à chanter dans la voiture », « Les chansons à chanter sous la douche »… En anglais, la formulation originale de « chansons à » est « music for », comme dans Music for airport de Brian Eno, pierre angulaire de l’ambient, gravée en 1978. Ou comme dans Music for animals de Nils Frahm, qui paraîtra cet automne.
Nils Frahm apprécie bien sûr à sa juste valeur Music for airport, mais pas le concept de « music for ». « Je ressens une certaine frustration face à la vision utilitariste de la musique à la mode ces jours-ci : toutes ces playlists avec des noms comme « music for sleeping », « music for focus », « music for masturbation »… » s’irrite-t-il dans le communiqué qui annonce l’album. « La musique semble toujours avoir besoin de faire quelque chose d’utile. C’est une logique centrée sur le client : le client a besoin de quelque chose, la musique doit le lui apporter, sinon « Tu es virée ! ». »
Quadruple album de trois heures, Music for animals est à l’opposé de cette conception pavlovienne de l’art. Le musicien berlinois, qui défriche depuis plus de 15 ans un nouveau champ de la musique instrumentale situé à la frontière des musiques classique et électronique, l’a écrit et enregistré en solitaire à l’époque des confinements. « Mon inspiration constante », explique aujourd’hui Frahm, « était la fascination que génèrent les grandes chutes d’eau ou le mouvement des feuilles d’un arbre dans une tempête. Il est bon d’avoir des symphonies, de la musique où il y a un développement, mais une chute d’eau n’a pas besoin de 4 actes puis d’un dénouement, pas plus que les feuilles d’un arbre ».
« Beaucoup de musique, à mon humble avis, est exagérément décorée, autant qu’un sapin de Noël », ajoute-t-il. « Moi, je veux juste l’arbre. Je ne sais pas pourquoi il y a chaque année plus de décorations sur le sapin, ni pourquoi les chansons doivent toujours être un peu plus compactes, un peu plus denses et un peu plus prémâchées. Je préfère donner une idée de ce qui pourrait être là mais n’y est pas… C’est un élément central de ma musique : je souhaite que vous, l’auditeur, vous vous retrouviez à l’intérieur. Sur cet album, il reste une place particulièrement vaste, vous n’y serez pas serré. »
Et les animaux dans tout ça ? Ils figurent dans les trois premiers titres de l’album, sous la forme d’un chien (The dog with 1000 faces), d’une moule (Mussel memory) et d’une mouette (Seagull Scene). Certains ont également accompagné le musicien pendant les deux années de préparation du disque et, selon lui, semblaient apprécier ce qu’ils entendaient. Mais ils sont également d’un côté comme de l’autre du disque : artiste et auditeurs sont tous homo sapiens, animaux mélomanes parfois enferrés dans leurs habitudes, parfois plus libres et prêts à contempler ce qui les entoure. « Certaines personnes aiment regarder les feuilles bruisser et les branches bouger » rappelle Nils Frahm, avant d’avouer « Ce disque est pour eux ».
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin... Le site web de Nils Frahm