« Down in Mississippi » chante Tia Gouttebel. « Down in Mississippi » reprend-elle de sa voix grave, tandis qu’une cornemuse répète un riff massif. Une cornemuse ? Effectivement, la scène n’a pas lieu au Mississippi et, même s’il reprend un classique de J.B. Lenoir, Muddy Gurdy n’est pas un groupe de blues ordinaire.
Il est constitué de la chanteuse et guitariste Tia Gouttebel, du percussionniste Marc Glomeau et du joueur de vielle à roue Gilles Chabenat. Le trio s’est bien rendu au Mississippi mais c’était pour un album précédent, enregistré sur le porche de musiciens rencontrés sur place ou dans des lieux de mémoire. Son nouvel album, Homecoming, a lui été enregistré dans la région des trois musiciens, l’Auvergne, avec des invités tels que le joueur de cornemuse Louis Jacques (du groupe Super Parquet), l’harmoniciste Guilaume Vargoz, le brioleur Maxence Latrémolière et deux danseurs de bourrée du collectif Les Brayauds, Eric et Didier Champion.
Comme dans le Mississippi, la blueswoman et les deux bluesmen ont choisi d’enregistrer en dehors des studios. « On a enregistré dans une grange de ferme, qui était un peu notre camp de base. C’est là qu’on logeait » explique Marc Glomeau. « A partir de là, on gravitait sur différents lieux qu’on avait repérés, entre le lac de Guéry, à 40 kilomètres au sud-ouest de Clermont, en plein Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne, et le massif du Cézallier ». Les prises de son ont notamment été effectuées dans deux chapelles, autour d’un parquet de danse installé au pied du col de la Croix-Morand, au fond d’un bistrot de montagne et sur les pentes d’un volcan. Le matériel y était parfois emmené à pied, Tia portant sa guitare et son ampli, Gilles sa vieille taillée sur mesure pour le blues par un luthier de La Châtre et Marc un kit de batterie rudimentaire, composé d’un cajón transformé en grosse caisse, d’un bendir joué avec des baguettes, d’une minuscule caisse claire, d’un petit tambourin joué avec le pied et de deux ou trois cymbales.
« On n’a pas choisi les lieux en fonction du son, on les a choisis par rapport à ce qu’ils évoquaient, pour leur rapport au patrimoine local » commente Marc Glomeau. « Par exemple, on a choisi la chapelle de Roche Charles pour enregistrer le titre Black Madonna, parce qu’on y trouve une vierge noire (une réplique en fait, l’original étant à la cathédrale de Clermont-Ferrand). En parlant avec la dame qui tient le bistrot de montagne, on a appris que sa salle de restaurant servait autrefois pour des bals, que les vielleux du coin y venaient régulièrement autrefois… Jouer là change totalement notre perception. Quand on enregistre dans un studio, on entre le matin dans un lieu confiné et on en ressort le soir. Nous, on était en totale résonance avec la nature. On vivait ensemble à la ferme, personne ne redescendait chez lui pour la nuit. Quand on est ainsi saisi par ce qui nous entoure et l’histoire des lieux, on aborde la musique d’une manière beaucoup plus sensible. On se laisse envahir par l’émotion, on se laisse porter par les rencontres avec les gens qui nous reçoivent. On est dans des dispositions d’esprit qui n’ont strictement rien à voir avec celles du studio ».
Pour autant, Marc Glomeau aurait bien du mal à recommander ce genre d’exercice à d’autres artistes, tant cela relève d’un choix partagé par tous les membres du groupe et l’ingénieur du son. « Ce n’est pas une posture, il faut vraiment en avoir envie. Notre but, c’était de faire le minimum de prises et de garder les choses les plus spontanées. La musique, nous, on ne veut pas la botoxer. On s’est interdit toute post-production, on n’a pas réenregistré, on n’a pas rajouté d’overdubs, on n’a rien rectifié. Dès qu’une version dégageait quelque chose qui nous touchait, on se disait que c’était la bonne » conclut-il, parfaitement conscient que le façon dont Muddy Gurdy vit et enregistre sa musique ne peut être un modèle universel…
Photos : Thierry Durand
Pour aller plus loin... Le site web de Muddy Gurdy