Plus de la moitié de l’humanité vit à moins de 100 kilomètres des côtes. En France, il est souvent question de « changement climatique » (l’équivalent du « climat change » anglo-saxon) mais l’expression « coastal change » n’a pas encore trouvé de traduction, faute d’intérêt. Aux Etats-Unis, au contraire, l’évolution des côtes du fait de la montée des eaux est un sujet d’actualité.
A 200 kilomètres au sud de Washington, la « Virginia Coastal Reserve » veille sur 14 îles qui jouent un rôle important en protégeant les parties continentales de la Virginie des tempêtes côtières et en accueillant des oiseaux marins tels que les pluviers siffleurs. On y trouve aussi une institution culturelle atypique, le « Coastal Futures Conservatory », qui observe le changement des côtes à la lumière des arts et de la science.
L’un de ses principaux animateurs, le compositeur Matthew Burtner, explique ainsi cette démarche : « Les problèmes auxquels notre planète est confrontée sont trop complexes pour qu’une discipline puisse les aborder seule. C’est pourquoi nous rapprochons les sciences naturelles, les sciences humaines et les arts pour nourrir la recherche sur la préservation des côtes. Telle est la base du Coastal Futures Conservatory, une initiative de l’Université de Virginie en faveur de la préservation de l’environnement principalement axée sur le son. A travers la musique écoacoustique, la science de l’environnement devient une nouvelle théorie musicale pour l’Anthropocène. Les œuvres créées de cette manière font dialoguer l’esthétique, la beauté et les émotions les plus personnelles avec les sciences ».
Avec son institution, Matthew Burtner a récemment lancé un concours ouvert aux compositeurs du monde entier, le « Coastal Futures International Ecoacoustic Music Competition ». Les lauréats sont la norvégienne Natasha Barrett, pour Sansing i Strandsona (Remote Sensing on the Beach), l’Australien Daniel Blinkhorn, pour frostbYte – chalk outline, la Portugaise Francisca Rocha Goncalves, pour SINØ III, les Californiens Chris Chafe et Greg Niemeyer, pour The Metered Tide, les Australiens Joyce To et Louis Pino, pour Home, les Canadiens Mark Timmings et Stephen Morris, pour Navarez Bay Tidal Predictions, la Coréenne Elsa Jaeyoung Park, pour Encroaching, le Californien Christopher Jette, pour Push Onward, et l’Orégonais Jon Bellona, pour Sunken Shoreline.
« Ce concours international de musique éco-acoustique a été lancé pour promouvoir le travail d’un réseau mondial d’artistes qui travaillent en parallèle sur l’environnement et la musique mais qui ne se connectent peut-être pas encore les uns aux autres » constate Matthew Burtner. « Nous souhaitons faire entendre ce travail et entamer un dialogue avec ces créateurs. C’était très surprenant, très gratifiant, de découvrir ces œuvres incroyables. Des candidats du monde entier ont envoyé leurs pièces. Les perspectives esthétiques étaient très variées. Les compositeurs primés reflètent cette diversité. Les lauréats ont été choisis par un comité qui a pris en compte à la fois l’excellence esthétique et la pertinence thématique, ainsi que l’engagement musical. Nous avons également examiné les questions pratiques, avec l’organisation partenaire, EcoSono, qui donnera ces œuvres lors de concerts ou les enregistrera. Nous avons décerné neuf prix et passé deux commandes, mais il y avait des dizaines d’œuvres incroyables que nous n’avons pu soutenir ! »
Matthew Burtner, pour sa part, travaille sur cette thématique depuis des années. « J’ai grandi sur les côtes de l’Alaska et j’ai fait l’expérience des effets dévastateurs du changement climatique » confesse-t-il. « J’ai travaillé à cartographier l’environnement sonore par le biais de la musique électronique et, ce faisant, j’ai développé une forme de musique écoacoustique, qui est pour moi une façon de composer qui embrasse à la fois la méthodologie scientifique – le calcul, l’électrotechnique et les sciences de l’environnement – et la théorie musicale. Je suis venu en France au début des années 90 pour travailler dans les studios de Xenakis et j’étais fasciné par le genre de musique formalisée sur laquelle il travaillait. Son influence m’a aidé à développer les stratégies sonores que j’utilise en écoacoustique ».
Même s’il vient de publier, chez Ravello Records, ses Six Ecoacoustic Quintets suivis d’Avian Telemetry, interprétés par le Furman Percussion Ensemble, son œuvre la plus emblématique reste son opéra multimédia de 2012, Auksalaq. « C’est la pièce qui reflète le plus profondément mon observation du changement côtier » reconnaît-il, « un opéra sur le changement climatique centré sur l’océan Arctique, où j’ai vécu quand j’étais enfant. L’océan est la plus grande « étendue sauvage » de notre planète. Alors, je considère les côtes comme l’espace le plus crucial pour la création artistique, y compris musicale » conclut-il.
Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web du Coastal Futures Conservatory Le site web d'Eco-Sono