N’est-ce qu’une question d’image ? Certainement pas ! Lorsque des compositeurs en viennent à incarner la création musicale au service de l’environnement avec autant d’évidence que Matthew Burtner, c’est qu’ils commencent à constituer un corpus d’œuvres qui les distinguent. Voici donc le troisième article de ce site consacré à Matthew Burtner, dont il est un peu l’icône. Le natif de l’Alaska a publié la mi-août sur Ravello Records un nouvel album, Profiled from atmospheres, sur lequel il réunit des thèmes inspirés par le vent, les papillons de nuit ou le changement climatique. Impossible de ne pas lui donner la parole…
Il y a deux ans, vous sortiez un album enregistré sur un glacier. Aujourd’hui, vous publiez 6 nouvelles compositions. Vous ne faites jamais de pause ?
Matthew Burtner : « En fait, ces œuvres sont écrites sur de nombreuses années, elles ne sont pas toutes nouvelles. Je n’aime pas publier des œuvres entièrement nouvelles. Je préfère qu’elles aient le temps de vieillir dans mon esprit et mes oreilles, avant de décider si elles doivent être publiées ou non. Cet album, Profiled from atmospheres, comprend par exemple des morceaux qui remontent à aussi loin que l’année 2012. La musique que j’ai écrite pour les papillons de nuit, notamment, a mis beaucoup de temps à mûrir ; elle me semble désormais adaptée à cette collection. »
Sur cet album, vous parvenez à mettre en musique les aurores boréales. Comment y parvenez-vous ?
Matthew Burtner : « La BBC a commandé cette pièce et j’ai utilisé un appareil spécial, appelé « enregistreur à très basse fréquence », qui capte l’énergie dans le spectre électromagnétique. Ces appareils sont facilement disponibles mais toute la difficulté est de s’éloigner des interférences électriques générées par l’homme pour n’entendre que les aurores boréales. J’ai dû retourner dans les montagnes derrière ma cabane en Alaska, à au moins deux kilomètres de toute ligne électrique. J’ai alors pu écouter l’électromagnétisme des aurores boréales. Certains de ces enregistrements sont utilisés tels quels dans la pièce mais d’autres ont servi de base à des partitions pour synthétiseurs. L’idée est d’orchestrer les aurores boréales avec différentes couleurs évocatrices mais de rester fidèle à la véritable sonification de l’énergie, pas uniquement aux sensations humaines face à elles. »
Plusieurs de ces œuvres sont destinées à des ballets. Pourtant, elles évoquent des sujets inhabituels pour la danse, comme un arbre dans Central Park ou l’atmosphère au-dessus de l’Arctique. Comment les danseurs se sont-ils emparés de vos créations ?
Matthew Burtner : « C’est une compagnie de danse très spéciale qui commande ces pièces, Time Lapse Dance. Les danseurs portent des costumes originaux et dansent sur des thèmes environnementaux. Nous collaborons donc sur ces pièces et j’ai la chance qu’ils trouvent ma musique inspirante pour leurs mouvements. La chorégraphe Jody Sperling et moi-même travaillons ensemble sur ces pièces depuis plus d’une décennie et nous partageons un même sentiment d’urgence, un même engagement dans l’activisme climatique. »
Pourquoi avez-vous écrit une pièce pour les papillons de nuit ? Espérez-vous vraiment qu’ils l’écouteront pour le plaisir ?
Matthew Burtner : « La diversité de notre écosystème s’effondre à mesure que les pollinisateurs comme les abeilles disparaissent à cause des produits chimiques, de la monoculture et des maladies causées par le réchauffement climatique. Mon Nocturne pour les papillons de nuit imagine une façon d’utiliser la musique pour aider ce pollinisateur très important à prospérer. J’ai conçu une musique qui correspond à ce que peuvent entendre les papillons de nuit mais qui ne ressemble pas à l’écholocalisation des chauves-souris (que l’ouïe des papillons de nuit est conçue pour détecter). En fait, elle crée un brouillard sonore empêchant la chasse des chauves-souris. Si elle était diffusée autour d’eux, je pense que les papillons de nuit auraient de plus grandes chances de succès. Je ne sais rien du sens esthétique des papillons de nuit, ce n’est que l’hypothèse d’un musicien humain. Mais pendant que nous, les humains, écoutons cette musique, nous pouvons également penser au monde tel que le perçoivent des papillons de nuit. Nous pourrions leur accorder plus d’attention la prochaine fois que nous les verrons dans la nature. Un changement de perspective qui mettrait en valeur le papillon de nuit, en tant qu’élément important de l’écosystème à travers sa pollinisation, ne pourrait qu’être que bénéfique pour ces animaux, qu’ils trouvent ou non du plaisir dans ma musique. »
Avez-vous l’impression de faire partie d’un grand mouvement environnementaliste au sein de la musique contemporaine ? Ou vous sentez-vous isolé ?
Matthew Burtner : « Je ne me sens pas du tout isolé, mais je ne me sens pas non plus membre d’un mouvement musical. Je travaille sur ce genre de musique depuis plus de 30 ans et cela fait partie intégrante de ce que je fais en tant que personne née et élevée en Alaska, très proche de la nature, dans un endroit où le réchauffement climatique a déjà eu des impacts majeurs dans les années 1990. J’accorde peu d’importance aux tendances de la musique contemporaine. J’essaie plutôt de comprendre comment la musique peut s’engager dans des problématiques sociétales plus vastes. Je me sens membre d’un grand mouvement composé de scientifiques, d’artistes, de politiciens, d’humanistes et de personnes qui reconnaissent que la question du changement climatique est très urgente et que nous devons modifier radicalement notre relation à l’environnement sous peine d’extinction dans un avenir proche. Pour faire la différence, il faut des efforts combinés d’acteurs de différents domaines, des collaborations, et je fais ma part du travail depuis le domaine de la musique, en participant à des projets collaboratifs interdisciplinaires. »
Photo de têtière : Kamil Grygo (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
La page du site web de Ravello Records consacrée à l'album