Ce n’est pas un hasard si microscope et microphone partagent une partie de leur étymologie. Le « micro », en grec, c’est le petit. Pour nous, c’est même le minuscule, ce qui échappe à nos sens. Notamment chez Mathias Arrignon, un artiste sonore à qui la BBC avait décerné en 2020 un « Sound of the Year Award ». Pour sa nouvelle composition, To the hum of the forest, il s’est servi de micros capables de saisir l’inaudible : la vie intérieure d’un arbre. Mais sa pièce est bien plus riche que cela. Il la présente…
Qu’avez-vous voulu faire entendre avec To the hum of the forest ? Est-ce la vie intérieure d’un arbre ?
Mathias Arrignon : « Oui et non. A travers cette œuvre, j’ai souhaité dessiner plusieurs perspectives d’écoute. Il y a effectivement une écoute de l’intérieur des arbres, réalisée avec un microphone de contact conçu par le chercheur suisse Marcus Maeder. Mais cette pièce est composée de trois actes. L’écoute de l’intérieur des arbres se situe au milieu. Avant, il y a une première écoute, qui correspond à celle que j’ai réalisée quand j’ai découvert la biosphère UNESCO de l’Entlebuch, en Suisse. Cette zone est limitrophe de la forêt, de champs cultivés et d’une base aérienne, avec un passage assez régulier d’avions. Cette écoute initiale est marquée par une appropriation du paysage par la marche. Le troisième acte ouvre sur une autre perspective extérieure, celle d’un forestier, Bruno, qui travaille dans cette région depuis pas mal de temps. Les trois perspectives sont la mienne, celle de l’arbre et celle du forestier. »
Le troisième mouvement met effectivement en valeur le discours d’un forestier. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce qu’il dit ? Son insistance sur les cycles de la nature et sur la durée nécessaire à la croissance des arbres ?
Mathias Arrignon : « Les connaissances qu’il apporte sont assez intéressantes. Cet enregistrement a été fait lors d’une marche nocturne en forêt, hors des sentiers battus, avec d’autres participants au programme de résidence Anthropos Ex. La marche était assez silencieuse. Bruno nous a mené dans des zones escarpées. Par moments, il s’arrêtait et partageait avec nous sa connaissance des espaces où nous étions, de la production de bois, du planning forestier… Qu’il l’ait fait en anglais (et non en suisse allemand) était très touchant. Il nous ouvrait les portes de cette forêt mais aussi ses portes à lui. »
Quel matériel utilisez-vous pour écouter les productions sonores des arbres ? Avec quel résultat ?
Mathias Arrignon : « Pendant cette résidence, on a passé quelques jours avec Marcus Maeder, qui nous a généreusement présenté le microphone qu’il a conçu, son « capteur acoustique pour l’écoute des arbres ». Il nous a fait des démonstrations, avant qu’on ne s’approprie l’outil pour explorer l’environnement. La première écoute de la vie intérieure d’un arbre a été très surprenante, inoubliable, en fait. On enfile nos casques d’écoute, on regarde le microphone planté dans une branche d’un arbre et on se sent connecté à la vie dont regorge ces végétaux. Il y a dans ces sons quelque chose de très fragile, de sensible. L’amplification est donc conséquente pour rendre tout cela audible. Ça amène un changement majeur dans notre façon de considérer les arbres. C’est une véritable rencontre. Ce sont des être qui vivent de leur propre manière, qui sont affectés par leur environnement autant que nous. Dès qu’il y avait un coup de vent, on entendait le vent se nicher à l’intérieur de l’arbre, ce qui crée des bourdonnements, des résonances. C’est très beau. »
Un arbre en particulier vous a marqué…
Mathias Arrignon : « On a réalisé des enregistrements sur pas mal d’arbres environnants. On s’est aussi servi de cet appareil pour écouter le sol. Cela produit des sons très intéressants mais je les ai peu utilisés dans cette pièce. Mais, oui, le fil conducteur de cette pièce est un sycomore pluri-centenaire. Il est au milieu d’un champ, entouré de bancs et d’une sorte de barrière en bois. C’est un lieu assez prisé par des pèlerins, parce que cette région a une histoire religieuse assez forte. Je trouvais intéressant de se dire que cet arbre est là depuis plusieurs siècles, qu’il a assisté à de nombreux changements d’environnement… Ça m’a donné envie de créer une pièce sonore liée à l’aspect de sanctuaire de cet arbre, d’amener un autre récit, où le pèlerinage irait vers une chose extérieure au spectre humain : l’arbre. »
Pourquoi avez-vous choisi de finir la pièce avec ce soudain son d’eau qui coule, qui évoque un déluge ?
Mathias Arrignon : « J’ai été influencé par les dernières phrases de Bruno. Il explique que l’une des fonctions des arbres dans l’environnement, c’est de retenir l’eau qui se déverse depuis les montagnes ou depuis les nuages. La coupe excessive d’arbres favorise les risques d’érosion et d’inondation. J’avais enregistré un ruisseau des environs. Le côté brusque de cette fin, cette montée assez soudaine de ces sons aquatiques, est une sorte d’avertissement : il faut agir sur ces espaces forestiers avec retenue et prudence. C’est notre intérêt mutuel. Les arbres nous protègent des inondations mais aussi de beaucoup d’autres choses… »
Photo de têtière : François Mauger Autre photos fournies par Mathias Arrignon
Pour aller plus loin... Le site web de Mathias Arrignon