Eminente figure de l’actuelle scène française, Marion Rampal a été nominée aux Grammy Awards pour sa collaboration avec Archie Shepp et a reçu en 2022 le prix de l’ « artiste vocal » aux Victoires du Jazz. Son cinquième album, Oizel, l’amène dans d’autres sphères, celles du chant en français et celles, plus aériennes, des merles, des canards ou des cormorans. Elle évoque ici sa longue relation avec les rois des airs…
Les oiseaux jouent un rôle important sur ce nouvel album mais l’un d’eux clôturait déjà le précédent, avec Still a bird. Depuis quand les oiseaux vous accompagnent-ils ?
Marion Rampal : « Sur mon album précédent, il y avait aussi un oiseau dans le premier morceau. Je me suis rendu compte de cette présence de l’oiseau, de cette figure. Assez vite après la sortie de Tissé, comme ça se passe souvent (quand je sors un disque, j’ai souvent des intuitions de la suite), je me suis dit que je devrais me concentrer sur cette figure de l’oiseau. C’est une figure très présente dans la poésie. Je m’en suis rendu compte en travaillant dessus ou en relisant, par exemple, Jacques Prévert ou en réécoutant Brassens. Il se trouve qu’il y a aussi beaucoup d’oiseaux dans les chansons traditionnelles, aussi, les vieilles chansons folkloriques qui m’inspirent beaucoup, qui ont voyagé en Amérique du Nord, en Louisiane, au Canada, en Acadie… »
Mais les oiseaux sont-ils une présence réelle dans votre vie quotidienne, ou plutôt une métaphore de la liberté ? Vous êtes du genre à passer des heures dans les bois avec vos jumelles ?
Marion Rampal : « Pas avec mes jumelles… J’aborde le monde sensible avec les moyens du bord : mon écoute et mon regard. Je vis en ville, à Paris, mais je suis entourée d’oiseaux. Des mouettes, par exemple, sont arrivées dans mon quartier il n’y a pas longtemps. Il y a beaucoup de corneilles, des merles, des mésanges, des pigeons ramiers, des perruches… Beaucoup d’oiseaux à observer et à écouter. Je me balade aussi en forêt pour ça. Je me suis intéressée aux oiseaux migrateurs. J’ai observé des outardes, des cigognes, des oies… Evidemment, l’oiseau est aussi la métaphore de l’envol, de la liberté, d’une force en nous qu’on ne peut pas mettre en cage, sur laquelle on ne peut pas coller une étiquette. A travers chacun de mes disques, il y a un travail sur l’autonomie et l’identité de la personne, avec des personnages plus ou moins marginaux, libertaires, que ce soit moi ou d’autres (j’aime bien parler des autres). Cette figure de l’oiseau a aussi été un cadre. Je trouve intéressant, quand on est, par exemple, un peintre, de se dire « Je vais faire une série bleue, ou une série avec que des fusains ». J’aimais bien la contrainte de n’écrire qu’en français et d’évoquer la figure de l’oiseau : il fallait qu’elle soit en filigrane. »
L’un des premiers titres, Grande ourse, s’inspire d’un texte de Florence Aubenas sur une femme qui a rompu avec le monde pour mener une vie d’hermite. « Je deviens bête » chantez-vous. Est-ce aussi l’un de vos fantasmes ?
Marion Rampal : « Oui, cette chanson est née d’un fantasme. J’ai écrit la première version de ce texte une nuit où j’étais à la campagne, dans une maison, et j’avais très envie de sortir, de partir la nuit pour me balader sur les routes, dans les forêts. J’avais une grande envie de rupture. J’ai écrit un long texte que j’ai traîné assez longtemps, en essayant d’en faire une chanson. Je l’ai mis de côté parce que je n’y arrivais pas. C’est en tombant sur l’article de Florence Aubenas que je me suis dit : cette figure-là existe vraiment. Quelqu’un a fait ça. Je me suis dit « Il faut absolument que je me remette à l’ouvrage sur cette chanson ». Je parle de choses qui sont très personnelles. Ça évoque la forêt, ça évoque la vie sauvage et ça évoque cette frontière, dans l’identité féminine mais aussi probablement chez tout le monde, entre notre soi domestiqué et social et notre part très sauvage. »
Il y a quelque chose de merveilleusement anachronique dans tout ce disque, dans la langue d’abord, qui a la poésie ramassée du créole, mais aussi dans les arrangements, qui font rêver d’Acadie ou de Louisiane. Dans quel espace-temps avez-vous conçu ce disque ?
Marion Rampal : « Moi, j’écris beaucoup en ville. On n’a enregistré que 14 morceaux mais j’en avais écrit une trentaine. Je peux écrire le matin très tôt en marchant dans la ville ou à l’hôtel très tard en rentrant d’un concert, dans un train… Tout se joue au gré des mélodies, des textes ou des histoires qui captent mon attention. Presque quotidiennement, je me mets au cahier ou à la guitare ou encore au deux. Il y a plusieurs étapes d’écriture pour chaque morceau. Certains sont sortis très vite, d’autres ont pris plusieurs mois, voire plusieurs années. Il y a eu de grands voyages. J’ai fait un voyage seule à Montréal et en Mauricie, une région du Québec. On est reparti au printemps 2023 en Acadie, au Nouveau-Brunswick, aux Iles de la Madeleine. Ça a été des voyages très inspirants. J’avais déjà voyagé en Louisiane. Le Québec et l’Amérique francophone sont, pour moi, le chaînon manquant pour retracer, comme j’aime le faire, l’influence des vieilles chansons et du vieux français. C’est vrai que j’ai beaucoup voyagé, même si c’est un disque très intimiste et peut-être économe dans la langue… »
Photo de têtière : Siegfried Poepperl (via Pixabay) Portrait de Marion Rampal : Alice Lemarin et Frédéric Mazzolini