Cet été, LeChapus tourne. Du festival des amis de la vallée de la Roya au « 200% récup » de Bordes-sur-Arize, dans l’Ariège, en passant par Effervescence à Saumur, où il a partagé la scène avec Labotanique, ou sa propre région, la Loire-Atlantique, son spectacle est demandé partout. Le musicien est en effet dans l’air du temps : il exorcise notre dépendance au plastique en faisant chanter les bouteilles de soda, en froissant les sachets qui entourent les fromages ou en tambourinant sur des pots de yaourt. Discussion téléphonique entre deux concerts…
Comment vous est venue l’idée de transformer le plastique qui vous entoure en instruments de musique ?
Ben LeChapus : « Cela s’est passé pendant le premier confinement. Je me suis demandé comment faire de la musique seul, moi qui avais toujours fait de la musique avec les autres. Ce contexte inédit m’a amené à me poser des questions. Je me demandais comment m’emparer d’un enjeu contemporain, l’environnement, en musique. J’ai commencé à faire des flûtes avec des carottes, des ocarinas avec des pommes de terre. Je suis parti vers la musique du jardin. Puis, pas à pas, je me suis tourné vers les déchets. Il m’a fallu un moment pour comprendre que le sujet de société dont je voulais le plus parler, c’était celui des déchets plastiques. J’ai alors fabriqué plein de dispositifs électro-acoustiques pour sonoriser les déchets. J’ai travaillé avec un fab lab qui est à côté de chez moi, à Mouzillon, dans le vignoble nantais. On a imaginé des dispositifs incroyables qui permettent de travailler sur les harmoniques du plastique. »
Sur scène, aujourd’hui, vous êtes entouré d’une panoplie de gadgets…
Ben LeChapus : « Oui. Il y a des déchets bruts. J’aime dire que je fais de la musique brute. Il y a aussi un instrument que j’ai mis du temps à fabriquer, le cocaphone. Je mets sous pression une bouteille de Coca avec l’aide d’une valve de pneu de voiture, de façon à pouvoir l’accorder. C’est le genre de dispositif qui permet d’illustrer mon sujet en musique. »
Le sujet, justement, s’entend surtout dans les paroles des chansons, qui restent toujours amusantes et ne cherchent pas à culpabiliser l’auditeur. C’est une stratégie délibérée ?
Ben LeChapus : « Oui. J’ai vu beaucoup de spectacles engagés. La plupart ne m’a pas convaincu. Il n’est pas facile de réussir un spectacle engagé. La voie que j’ai choisi, c’est de rester du côté de la fantaisie et de ne pas faire la morale. »
Difficile, effectivement, d’avoir une position moralisatrice quand on fait aussi partie des consommateurs de plastique…
Ben LeChapus : « Exactement. En fait, il ne sert à rien de répéter dans un spectacle des choses ce que tout le monde sait. Le spectateur est au courant des problèmes, il décide de son côté de les prendre en compte ou pas. Il est plus drôle de prendre le contre-pied. Un peu à l’image de Michel Houellebecq, avec ses personnages pathétiques, qui travaillent à La Défense, qui ont 40 ans, qui sont complètement perdus… Je décris parfois des attitudes totalement anti-écolo, complètement décomplexées, et c’est presque ce qui marche le mieux. Pour parler du sujet, je dis l’inverse de ce que je pense, par exemple : « J’trouve plus d’inspi’ dans la nature / Ma vie a changé, c’est sûr / Quand j’ai besoin de prendre l’air / J’me promène dans un super’ ». »
C’est aussi une façon de prendre des distances avec une certaine forme de bien-pensance…
Ben LeChapus : « Effectivement. On est tous hybride. Même moi, qui suis très engagé, qui consomme local, en circuit court, je fais des exceptions quand je suis en tournée. »
Comment décririez-vous l’univers visuel de vos spectacles ?
Ben LeChapus : « J’ai été très inspiré par toutes les musiques qui ont été produites à Kinshasa, à Brazzaville… En Afrique, beaucoup d’artistes réutilisent les déchets. Leur univers visuel est très bariolé. J’ai d’ailleurs créé une partie du spectacle à Brazzaville, où travaille ma sœur. J’y suis resté un mois et j’ai pu travailler avec Magnum, un grand percussionniste qui a collaboré avec Zao, une sommité de la rumba congolaise. Bref, l’Afrique est une source d’inspiration assez évidente. Sur scène, je suis entouré de colonnes de bidons. Ce sont des bidons récupérés en salle de traite. Derrière, j’ai mis une guirlande de guinguette dont les abat-jours sont des bouteilles de Destop ou d’eau de Javel, tous ces produits qui, dans les supermarchés, ont des couleurs très intenses, probablement pour que les enfants les évitent. Eclairer tout ça donne des lumières incroyables, avec un côté presque radioactif. Ça sent la décadence… ».
C’est un travail sur l’idée de kitsch, de ridicule ?
Ben LeChapus : « Carrément. La kitscherie fait vraiment partie de l’esthétique de l’époque. »
Vous travaillez également dans des écoles et des collèges…
Ben LeChapus : « Je fais pas mal d’ateliers d’une discipline que j’ai découverte, qui s’appelle la « lutherie sauvage ». J’ai acheté pendant le confinement le livre de Max Vandervorst, le pape de cette esthétique. Depuis le confinement, j’ai l’impression que les budgets de l’action culturelle augmentent. J’ai notamment eu des propositions du VIP, la scène de musiques actuelles de Saint-Nazaire, qui m’a demandé de donner des ateliers. Je ne l’avais jamais fait et j’y prends énormément de plaisir. On fait des cocaphones, des flûtes aquatiques, des rhombes aborigènes en plastique… »
Comment réagissent les enfants après avoir produit de la musique avec des déchets ?
Ben LeChapus : « Si tu arrives avec un discours moralisateur, bien-pensant, sur les déchets, ils n’accrochent pas… Ma démarche est plus punk et je reçois un super accueil chez les enfants. Evidemment, ils sont au courant de tout. Même les plus petits, en moyennes ou en grandes sections de maternelle, savent que le plastique est nuisible. Le truc, c’est de se réapproprier cet univers-là, un univers culpabilisant, un univers qui appartient aux puissants, aux grandes marques… Ma proposition poétique, c’est de récupérer cet imaginaire collectif. On fait de la musique avec des bouteilles de Coca, on fait des boucles d’oreilles avec des phares de voiture pétés… On réinvente cette matière, on lui redonne de la magie ».
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin…
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