Tel un pèlerin, Matthieu Prual s’élance sur les chemins, un saxophone à la main, en compagnie de quelques amis. Son concept, baptisé la « démesure du pas », consiste à inviter les spectateurs à se mettre en mouvement avec eux, à les écouter tout en traversant des paysages, tandis qu’ils dialoguent avec les échos ou jouent avec des feuillages ou des cours d’eau. Après une cinquantaine de concerts, le saxophoniste a décidé de retranscrire ses expériences sur les plages d’un disque savoureusement mobile. Il s’en explique…
Votre projet de concert marché est né il y a 3 ans. Comment s’est-il développé ? Comment a-t-il évolué ?
Matthieu Prual : « Les premières résidences datent en effet de 2021. Depuis, on en est à plus de 50 représentations. Une partie des dates s’est faite en quatuor, avec parfois Carol Robinson, parfois Joris Rühl, et toujours Gabriel Lemaire, Toma Gouband et moi. Une autre partie des dates s’est faite en solo. Nous sommes allés dans toute la France, avons fait un passage en Italie, sur des chemins de tous types : des chemins urbains, des chemins de campagne, des chemins nocturnes, des chemins de lever de soleil… On a beaucoup varié les contextes. »
Est-ce que ces temps de partage avec le public ont confirmé le bien fondé de votre intuition de départ ?
Matthieu Prual : « Oui, globalement, les gens ressortent toujours de cette aventure avec une espèce de fraîcheur et de profondeur dans la perception des paysages qui ont l’air de leur faire du bien. L’intérêt de ce projet, c’est de pouvoir jouer pour des publics qui ne sont pas du tout initiés à la musique contemporaine ou à la musique expérimentale. Le cadre de la proposition, son déroulement… Difficile de cerner tous les tenants et aboutissants mais, en tout cas, des publics qui ne sont pas éduqués à ces musiques-là s’y retrouvent très bien. »
Est-ce que certains des paysages que vous avez traversés vous ont laissé un souvenir inoubliable ?
Matthieu Prual : « Oui. Je me souviens d’une promenade nocturne en Auvergne. On a gravi une colline jusqu’à des orgues basaltiques, en s’éclairant avec des lampes frontales. C’était en solo. On a redescendu la colline jusqu’à un lac peuplé d’une myriade de grenouilles chanteuses. On a fini dans la forêts, perdus, sans retrouver le chemin du retour. Dernièrement, on a fait une promenade qui était vraiment appréciable, au lever de soleil, à Nantes, le premier jour de l’été, le 21 juin. On avait rendez-vous à 5h30 dans le centre de Nantes et on a terminé à la pointe de l’île de Nantes, au niveau de la grue Titan, la grande grue jaune, et le soleil s’est pointé pile à l’arrivée. »
Vous publiez cet automne un disque. S’agit-il d’enregistrements de concerts ?
Matthieu Prual : « Il y a les deux : des enregistrements de concerts réalisés à Clisson ou à Saint-Nazaire et des enregistrements faits spécifiquement pour le disque. »
Qu’est-ce qui distingue ce disque des concerts que vous avez donnés ?
Matthieu Prual : « La différence principale, c’est que vous êtes dans votre salon ou avec un casque sur les oreilles et que les sons se déploient dans un espace beaucoup plus resserré. Cet espace, on a essayé de le connecter aux espaces d’origine, aux espaces dans lesquels les sons ont été émis puis enregistrés. L’objectif était d’essayer de redonner à l’auditeur une sensation qui réveille des émotions similaires à celles qui adviennent à l’extérieur. On a prêté une attention très forte aux paysages sonores dans lesquels les sons se déployaient, de manière à les rendre audibles. Il y a des différences et des similitudes dans le sens où j’ai essayé de recréer un parcours global, composé de fragments issus de différents paysages. J’ai fait en sorte que l’expérience de l’auditeur soit variée, pour le garder en alerte. L’idée n’était pas de faire comme s’il ne s’agissait que d’une seule marche, mais plutôt de donner à sentir des ambiances tour à tour estivales, bucoliques, nocturnes, urbaines, automnales… »
Le disque est sorti il y a une dizaine de jours. Comment réagissent les auditeurs ?
Matthieu Prual : « Il est accueilli comme je l’espérais. Les musiques expérimentales ou contemporaines sont parfois difficiles à écouter sur disque, pour moi notamment. Les musiques improvisées sont tellement liées à un acte instantané, à une proximité, à une rencontre que j’ai parfois du mal à les recevoir au travers d’un disque. J’ai tout fait, dans la préparation de cet album, pour avoir un résultat vraiment discographique, pour arriver à quelque chose qui puisse s’écouter avec attention mais aussi un peu distraitement, un disque qu’on peut écouter en passant le balais ou en faisant la vaisselle. C’est le retour qui m’est fait : des gens qui ne sont pas habitués à des musiques complexes s’y trouvent bien, se laissent embarquer dans les paysages, l’écoutent avec plaisir. C’était ça que je recherchais : quelque chose de plaisant à écouter. »
Photo de têtière : François Mauger