La notion de « Musiques vertes » ne date pas d’hier. Des musiciens cherchent depuis des décennies le moyen de sortir des salles de concert pour travailler avec des matériaux naturels. En particulier Jean-Yves Bosseur, compositeur, enseignant et essayiste, auteur de la musique du film Viva la muerte d’Arrabal ou d’une Messe pour 5 voix solistes et chœur mixte qui lui a valu un Diapason d’or de l’année 1998. En 1982, il a fait paraître un disque bien peu académique, ces fameuses Musiques vertes qui refont surface aujourd’hui, rééditées par un label italien, Holiday Records. Le compositeur nous raconte leur genèse et précise leur importance…
Ce disque est sorti au tout début de l’année 1982. Quel était alors le contexte ?
Jean-Yves Bosseur : Tout vient de la proposition de Christine Armengaud de concevoir une opération autour des appeaux non manufacturés, à la suite d’une recherche qu’elle avait effectuée dans le Lubéron. Moi, je travaillais avec son mari, le pianiste Jean-Pierre Armengaud. C’est par son biais que nous sommes entrés en contact. Son projet m’a vivement intéressé parce que je me suis toujours passionné pour les sons de la nature. C’était pour moi une manière très ludique d’intégrer ces sonorités…
Vous étiez alors un jeune compositeur…
Jean-Yves Bosseur : A cette époque, je faisais partie d’un groupe qui s’appelait Intervalles. Auparavant, je faisais partie d’un autre groupe, le GERM (Groupe d’Etudes et de Réalisations Musicales). On travaillait beaucoup sur la création collective, sur l’improvisation, sur des projets interdisciplinaires…
Mais dans le champ des musiques savantes…
Jean-Yves Bosseur : Oui, tout à fait. J’ai étudié avec Karlheinz Stockhausen et Henri Pousseur. J’ai également collaboré avec des musiciens de jazz ou des musiciens traditionnels, mais cela s’est fait plus tard.
Nous sommes donc en 1982. Mitterrand vient d’être élu. Les années qui ont précédé ont vu l’écologie politique se constituer en mouvement. Une partie de la France parlait alors de « retour à la terre » et manifestait pour le Larzac. Est-ce que cela a eu une influence sur ces « Musiques vertes » ?
Jean-Yves Bosseur : Non, pas vraiment. J’ai toujours été complice des mouvements écologistes mais ils n’ont pas eu d’influence directe sur ce projet. La proposition de Christine Armengaud a été pour moi l’occasion de travailler avec des matériaux naturels. On a assuré beaucoup d’animations en milieu scolaire dans le Lubéron. La première partie de la séance consistait à fabriquer les instruments en question. Puis on les testait et on réalisait une proposition que j’avais conçue d’une manière très souple, sous la forme d’un scénario. Pour moi, l’importance de l’environnement sonore était une conviction ancienne, aussi ancienne que mon désir de travailler avec des sons naturels ou avec des prises de son. J’ai aussi beaucoup travaillé avec la radio. On couplait par exemple des sons instrumentaux ou vocaux avec des sons enregistrés.
Vous enregistrez donc Musiques vertes. Pour vous, que signifient ces deux mots qu’on lit sur la pochette ?
Jean-Yves Bosseur : « Musiques vertes », c’ est un terme de Christine Armengaud. Elle l’a créé suite sa recherche ethnologique, lorsqu’elle étudiait l’usage des appeaux non manufacturés dans le Luberon. Elle a publié des livres sur ce sujet chez Christine Bonneton notamment.
Pour elle, ces « musiques vertes », ce sont donc des musiques jouées dans les campagnes, sur des instruments artisanaux, pour dialoguer avec la nature…
Jean-Yves Bosseur : Ce ne sont pas des musiques, au départ. Ces instruments sont destinés à la chasse. Christine a étudié la manière dont les gens tentaient d’imiter les oiseaux dans ce but. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : ça n’avait rien de musical. Par contre, il est vrai qu’il y avait des concours d’appeaux mais Christine ne s’est jamais occupée de cet aspect-là. Pour moi, sa recherche a été une sorte de tremplin. Elle s’est dit « Mais pourquoi ne ferait-on pas de la musique avec ces appeaux ? » et elle m’a contacté.
Mais si on arrête un instant sur ce qu’elle a étudié, on peut dire qu’il ne s’agissait peut-être pas de musiques, plutôt de pratiques sonores pour la chasse…
Jean-Yves Bosseur : Et un peu pour le jeu, aussi, pour les enfants…
Il s’agissait d’une transmission orale mais il n’y avait pas de répertoire puisque chaque instrument produisait un son particulier…
Jean-Yves Bosseur : Oui, c’est ça. Vous aviez un certain nombre de matériaux : le bambou, le sureau, le noyau de cerise… Chacun était supposé imiter un oiseau, au moyen du souffle, de frottements ou de percussions.
Ensuite viennent vos Musiques vertes, qui, elles, sont composées. Comment les avez-vous imaginées ?
Jean-Yves Bosseur : J’avais conçu des jeux sonores, des jeux musicaux à partir des instruments construits pour la circonstance. J’avais écrit des protocoles, ce que j’appelle des « partitions verbales ». C’étaient des scénarios d’action et de réaction musicales de groupe. Je ne suis pas le seul à avoir écrit de telles partitions. Stockhausen en a réalisées à la fin des années 1960, de même que Christian Wolff, Luc Ferrari… Plusieurs compositeurs ont conçu ce genre de propositions très souples pour des groupes de musiciens, souvent des musiciens non professionnels, pour pouvoir favoriser des échanges.
Qui joue sur votre disque ?
Jean-Yves Bosseur : C’étaient des animateurs, avec qui on réalisait justement des séances de travail dans les écoles. L’enregistrement a eu lieu en 1981 chez Jean Roché, que vous connaissez certainement puisqu’il est le grand spécialiste des chants d’oiseaux. Il avait une vaste maison avec une piscine. Toute une séquence centrée sur les bambous et l’eau a été enregistrée au bord de celle-ci. Il était intéressant que Jean Roché soit là, lui qui connaît si bien les chants d’oiseaux. C’est pour cette proximité avec les chants d’oiseaux que le disque a été publié sous la forme d’un maxi 45 tours : ce format permettait de restituer de manière optimale les aigus.
Aujourd’hui, lorsqu’on écoute ce disque sans consulter les notes du livret, on croit entendre les mouvements de la végétation ou encore des productions sonores animales… Était-ce votre intention ?
Jean-Yves Bosseur : Je voulais évoquer une sorte d’organisme naturel, que le son s’apparente à un phénomène proche de la nature, sans que cela renvoie à un style particulier, même si certaines séquences sont plutôt répétitives, d’autres plus discontinues… Les principes de cette musique sont profondément liés à des processus de croissance tels qu’on peut les rencontrer dans la vie. Je voulais travailler sur des notions basiques mais sans référence à un langage préexistant. De toute manière, ces instruments sont assez instables, surtout en termes de hauteur. Il était par exemple hors de question de travailler sur des aspects harmoniques. Sur l’aspect rythmique, oui, sur l’aspect du timbre, aussi, mais pas sur l’aspect harmonique. Ça orientait donc mon approche…
Votre disque est réédité 40 ans après son enregistrement. Selon vous, qu’est-ce qui a intéressé la maison de disques italienne qui le publie à nouveau ?
Jean-Yves Bosseur : C’est difficile à dire : je n’ai eu des contacts que par mail. C’est très curieux : les derniers exemplaires originaux de Musiques vertes m’ont été demandés par un disquaire spécialisé des Puces de Saint-Ouen et, au même moment, cette maison de disques italienne spécialisée dans les productions expérimentales me contacte pour le rééditer. Apparemment, pas mal de gens semblent aujourd’hui s’intéresser à ce type de sons, naturels mais organisés. Alors qu’à l’époque, on était pris pour des fous. Parfois, je me suis senti très isolé dans le milieu de la musique contemporaine mais je m’aperçois qu’il y a finalement un public pour cette œuvre. Ça me fait plaisir parce que, cette production, je l’assume pleinement. Il y a quelque fois des hiérarchies chez certains compositeurs, qui considèrent qu’il y a d’un côté leurs œuvres importantes et de l’autre des œuvres annexes. Moi, ces Musiques vertes, j’y tiens beaucoup. Même si ce disque a été réalisé par des amateurs, cela ne lui ôte rien. Je l’ai toujours totalement revendiqué, aujourd’hui autant qu’hier.
Photos reproduites avec l'aimable autorisation de Jean-Yves Bosseur
Pour aller plus loin... Le site web de Jean-Yves Bosseur