Les vagues, le vent qui soulève le sable des dunes… Tel est le point de départ du disque que la Norvégienne Ingri Høyland a imaginé en parcourant un parc national danois : Ode to stone. Un album constamment intrigant, fragile, souvent tremblotant, parfois aussi fuyant qu’une poignée de grains de sable, mais indiscutablement organique. Ces 7 titres publiés par le label danois Rhizome semblent paradoxalement aussi synthétiques que naturels. Quelque chose du vent se glissant entre les herbes ou du soleil se reflétant froidement sur une mer grise est bien là. Ingri Høyland explique quoi…
Qu’est-ce qui, à Husby Klitplantage, vous a tant inspiré ?
Ingri Høyland : « Husby Klitplantage est un parc national naturel situé le long de la mer du Nord, sur la côte ouest du Danemark, bien connu pour ses dunes de sable, sa bruyère et son écosystème brut. D’une certaine manière, ce lieu est très doux, avec ses dunes ondulées et ses nuances de vert et de beige, mais aussi particulièrement rude, à cause du vent puissant qui façonne et renforce chaque pierre et chaque feuille. Je suis originaire de Norvège, où j’ai passé mon enfance à jouer et à errer dans les montagnes et dans la forêt, et, depuis que je me suis installée au Danemark, j’ai toujours eu envie de retrouver l’humilité qui découle des apprentissages et de la vie au contact de la nature. La nature au Danemark est très différente de celle que j’ai connue en Norvège. Chaque centimètre carré du pays – ou presque – est cultivé. Mais je sentais que ces zones le long de la côte étaient très différentes. J’y ai trouvé quelque chose de brut qui m’a rappelé mes origines. C’est très particulier, presque unique : quand on grimpe au sommet des dunes, face à la mer, on est complètement submergé et cette sensation est très importante pour la perspective et l’existence. »
Le titre Ode to stone interpelle. Veut-il dire que tous les éléments vous parlent, même les plus silencieux ?
Ingri Høyland : « Le titre Ode to the stone est inspiré du travail de mon amie et collaboratrice, la sculptrice Lea Guldditte Hestelunds, qui a travaillé la pierre et le marbre ces dernières années. Quand on y pense, les pierres ont une sensation du temps complètement différente de la nôtre. Elles bougent, changent de forme et vivent à travers les siècles. Leur mémoire de la terre est si extraordinaire ! Elle donne vraiment une perspective cosmique du temps radicalement différente de celle que nous pouvons avoir à travers notre compréhension normative du temps et du mouvement. J’ai toujours voulu créer une pièce qui explore la sensation d’étirement du temps. Être dans la nature et près de la mer, étudier ses schémas et ses mouvements, est ce qui nous rapproche le plus de cette sensation d’expansion. Je pense que cette sensation est aussi quelque part en nous, si nous osons écouter profondément. »
Quelle est la place de l’être humain dans ce disque ? Vouliez-vous que votre musique l’efface un moment ?
Ingri Høyland : « Dans le cadre de nos recherches pour ce disque, nous avons lu beaucoup de livres sur le sujet, sur la connexion des trois formes d’écologie – sociale, environnementale et humaine – et la façon dont elles sont interconnectées et égales les unes aux autres. J’étais donc très motivée pour créer une pièce où nous allions essayer d’oublier notre ego et, en tant qu’artistes, agir plutôt comme des laboureurs ou des ouvriers de la terre. Cela ne sera peut-être jamais tout à fait possible mais nous avons essayé. Lorsque je concevais la musique, je la voyais en quelque sorte comme une traduction d’un lieu, ou comme une forme de médiation. J’espère avoir créé un espace pour l’auditeur, j’espère lui offrir un petit voyage. De cette façon, il y a aussi de la place pour ses propres réactions, ses émotions. Espérons qu’il sera transporté dans un nouvel endroit, ou quelque part en lui-même. »
De quoi sont faits les sons que nous entendons que nous entendons sur ce disque ?
Ingri Høyland : « Nous avons utilisé quelques enregistrements de terrain comme point de départ pour nos compositions, mais seulement pour retourner mentalement à la mer. Au lieu de placer ces enregistrements au cœur des compositions, nous avons plutôt voulu traduire nos sensations par de nouveaux sons et de nouvelles couleurs. C’est ça la magie de la musique électronique, je pense : les sons n’ont pas nécessairement des connotations aussi fortes que celles des instruments classiques, ces connotations qui rendent l’accès à des espaces imaginaires en soi-même plus facile. J’ai beaucoup travaillé avec la bassiste Ida Urd au fil des années, alors je l’ai invitée à participer au projet et à composer la musique avec moi. Nous avons développé une méthode d’improvisation électronique parfaite pour écrire ces morceaux. La musique est jouée avec des instruments électroniques et une basse avec archet et nous y ajoutons nos hymnes. Et je suppose que c’est par les mélodies des hymnes que nous introduisons notre propre corps dans la musique. Ces mélodies nous sont parvenues en déambulant le long des dunes. Björk a expliqué un jour qu’elle chantait de petites mélodies tout en marchant vers l’école dans une tempête de neige, pour faire face à la météo et à son environnement, et je pense que c’est une belle façon de voir les choses. La ligne de basse d’Ida dans Stream of Light et mon chant dans Very own sun sont des sortes de chants de baleines, s’élevant en réaction au vent fort et aux sensations qui parcourent le corps : nous faisons face à toutes les tensions et libérons tout ce que l’environnement a pu mettre en mouvement. »
Photos : Ingri Høyland
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