On l’appelait « Mer » mais l’Aral n’est dorénavant plus guère qu’un grand lac, maintenu en vie par un barrage. Cette vaste étendue d’eau salée située entre le Kazakhstan, au nord, et l’Ouzbékistan, au sud, a été victime des projets de culture du coton conçus par l’Union Soviétique dans les années 1960. Pour assurer l’irrigation des champs, deux fleuves ont été détournés et l’Aral s’est peu à peu asséché. L’image de ses bateaux abandonnés sur une terre craquelée a fait le tour du monde.
Alors qu’elle improvisait, la musicienne kazakhe Galya Bisengalieva a produit des sons qui lui ont immédiatement fait penser à ces navires. La violoniste et compositrice – qui s’est établie à Londres après ses études au Royal College of Music et est maintenant à la tête du London Contemporary Orchestra, un ensemble qui a notamment collaboré avec Radiohead et Frank Ocean – a alors décidé de consacrer un album entier à l’histoire de la Mer d’Aral. C’était en 2020. Le disque s’appelait Aralkum. Cette poignante méditation sur la perte d’un écosystème était composée de trois mouvements intitulés « Pre-Disaster », « Calamity » et « Future ». Elle a eu une suite, un recueil de remixes signés Coby Sey, Nazira ou Actress.
Cette année, Galya Bisengalieva s’est intéressée à un ancien site d’essais nucléaires, également situé au Kazakhstan, baptisé « Semipalatinsk ». Nichée au pied de la montagne Degelen, cette zone quasi désertique a servi de terrain d’entraînement aux Soviétiques de 1949 à 1989. Il y ont effectué plus de 450 tirs, pour certains souterrains mais pour d’autres directement dans l’atmosphère. L’histoire officielle raconte que les réserves de plutonium et d’uranium enrichi qui avaient été abandonnées dans des tunnels souterrains ont été définitivement confinées mais les habitants de la région souffrent toujours de cancers, de malformations congénitales, de troubles d’apprentissage…
Polygon revient longuement sur cet épisode méconnu. Pour enregistrer ce nouvel album, Galya Bisengalieva s’est principalement appuyée – outre quelques notes jouées sur des instruments traditionnels et de subtils effets électroniques – sur son violon. Ses mouvements d’archet évoquent le vent qui traverse la steppe, décrivent d’effarantes constructions ou font monter la tension. Aucun enregistrement de terrain, ici, uniquement l’imagination et la sensibilité d’une artiste qui replace son pays d’origine dans la longue liste des victimes de l’ère nucléaire…
Photo de têtière : François Mauger Photo de la Mer d'Aral : WaSZI (via Pixabay)
Pour aller plus loin... Le site web de Galya Bisengalieva