Intimiste et illimitée, la musique de Félicia Atkinson réussit à concilier un minimalisme flottant et l’écho des grandes étendues des bords de mer. Elle est même, par moments, littéralement composée d’espaces, lorsque les enregistrements qu’elle réalise à l’extérieur viennent prolonger ses improvisations laconiques au piano. La compositrice électroacoustique réunit en cette fin d’année 7 de ses paysages intérieurs sur un nouvel album au titre évocateur, Space as an Instrument, publié par son propre label, Shelter Press. L’artiste évoque ce disque farouche et très construit…
« Space As An Instrument »… Le titre de votre album sonne comme un manifeste. Etait-ce votre volonté ?
Félicia Atkinson : « Il s’agirait peut-être plutôt d’une hypothèse, d’un doute, ou d’une question lancée vers le cosmos. »
Certains décrivent la musique comme un art du temps, par opposition à la peinture, par exemple, qui serait un art de l’espace. Cette opposition vous agace ?
Félicia Atkinson : « Jeune adulte, je n’ai pas étudié la musique mais les beaux-arts. J’aime beaucoup la peinture et j’ai toujours été intéressée par les liens entre les deux mediums, composant par exemple une série de trois pièces pour Helen Frankenthaler, Agnès Martin et Georgia O’Keeffe. Ce qui m’intéresse c’est les échanges de forces justement, que la peinture parle du temps et la musique de l’espace, mais aussi, de mieux s’interroger justement sur la notion de durée à travers son lien à l’espace. Qu’est -ce qu’un trou noir? Une année lumière? Quelle musique peut-on imaginer à partir de cela? »
Vous chuchotez, à la limite de l’audible parfois, comme si vous ne vouliez pas imposer de signification trop précise à votre musique. La musique doit-elle rester, pour vous, un art abstrait ?
Félicia Atkinson : « Les choses peuvent avoir un sens, il me semble, sans avoir besoin d’être toujours nommées. Ou encore, une parole peut être pensée mais non dite. Ce sont ces porosités qui m’intéressent justement. Je pense qu’une chose est toujours à la fois figurative et abstraite, tout dépend de la distance depuis laquelle on l’observe, mais aussi des outils dont on se saisit pour l’observer.. Quelle est la voix intérieure d’un oiseau? Prenez une langue, vous ne l’écoutez pas de la même manière si vous en saisissez le sens ou non; si vous n’en saisissez pas le sens, cela ne veut pas dire que celui qui le prononce n’en donne pas. Quand je regarde une peinture abstraite de, par exemple, Clyfford Still ou Agnès Martin, j’en saisis le sens, il est juste hors du langage. J’entends justement une voix intérieure, un murmure, qui serait avant (ou après) les mots. »
L’un de vos titres est inspiré d’un essai du philosophe Olivier Remaud, Penser comme un iceberg. Avez-vous essayer de composer comme un iceberg?
Félicia Atkinson : « Je ne peux pas penser comme un iceberg, mais je pense qu’il y a de nous dans l’iceberg et de l’iceberg en nous. Ce qui m’intéressait après la lecture du superbe ouvrage d’Olivier Remaud, c’était, dans la composition, de se dire de manière un peu déraisonnable que peut-être l’eau glacée composait aussi un peu la musique que je faisais, dans le sens ou elle serait « composée de » et non « composée par », d’une manière ou d’une autre. »
Pour finir, avez-vous la sensation de faire partie d’une génération de musiciens qui considèrent l’espace comme un instrument ?
Félicia Atkinson : « J’avoue que je n’ai pas beaucoup de recul concernant ma génération. Née en 1981, j’écoute principalement des gens plus vieux ou plus jeunes. Mais je retrouve des questions communes chez des compositeurs ou compositrices quarantenaires comme moi, comme Kassel Jaeger ou Tomoko Sauvage, qui ont une approche assez « plastique » de leur art, dans le sens où, en effet, la question des espaces, des dimensions, du visible et de l’invisible entrent en jeu dans leur musique. »
Photo de têtière : François Mauger Portrait de Félicia Atkinson : D.R.