Un refrain aérien, chanté d’une voix exquise, sur un instrumental intemporel… Végétal, le premier titre du nouvel album d’Evergreen serait peut-être diffusé sur toutes les radios si ses paroles n’étaient pas aussi troublantes. L’imaginaire de ce trio qui vit entre Paris et Londres n’a en effet rien de banal. Discussion à propos de Végétal digital, un album qui développe un concept peu commun…
Le titre de l’album juxtapose deux termes qu’on pourrait croire incompatibles, « végétal » et « digital ». S’agit-il de les opposer ou de les réconcilier ?
Michael Liot : « L’idée est de réconcilier deux termes qui renvoient à deux mondes différents. C’est le concept de l’album : imaginer un futur possible, dans lequel le monde végétal reprendrait le contrôle, réparerait le monde en s’adaptant. L’idée d’un « végétal digital » revient à imaginer que, si l’homme et la technologie, ensemble, font du mal à la Terre, la nature elle-même pourrait se transformer, opérerait une mutation pour détourner la technologie, de façon assez salutaire. On imagine des créatures mutantes, à la fois digitales et végétales. Ces créatures, dont on ne précise jamais la composition ou la forme, remplaceraient la technologie. On se range du côté du merveilleux, au sens littéraire du terme, plus que du côté de la science-fiction. On ne fait pas références aux dystopies que pouvaient écrire H.G. Wells ou Orwell, à l’idée d’une humanité qui a provoqué sa propre destruction. L’album joue plutôt sur la magie, le mystère. En fait, on ne comprend pas ce que ces créatures cherchent, au-delà de leur survie. L’album part de nos obsessions vis-à-vis de ce qu’il se passe autour de nous, du constat que la planète ne va pas très bien. A l’échelle globale, tout semble empirer : on observe en ce moment une fuite en avant qui n’est pas réjouissante. En réaction, on se concentre sur l’élément végétal, qui fait écho à notre nom, Evergreen. »
Dès le premier titre, Végétal, l’auditeur est pris à contre-pied. La mélodie est très gaie, très pop, mais les paroles sont inquiétantes. Vous aimez ce genre de décalage ?
Michael Liot : « Oui, on aime depuis toujours juxtaposer une musique qu’on peut appeler « pop », mélancolique ou joyeuse (ou un peu des deux), et des paroles plus profondes. Le thème de cette chanson est volontairement ambigu. C’est le titre qui ouvre l’album, parce qu’il s’agit, pour moi, d’une description des premiers symptômes d’une sorte de crise ou de conflit mondial. Une personne qui est dans une chambre (on comprend après que c’est une chambre d’hôpital) s’inquiète des fleurs qui l’entourent. Je trouvais intéressant de se dire que c’est soit une hallucination de la part de la patiente, soit une invasion réelle de fleurs malveillantes. Si on est dans le monde du merveilleux, où on peut accepter que cela soit possible, oui, il y a bien une invasion ; si on part d’un point de vue plus réaliste, tout cela est de l’ordre de la folie et la personne qui imagine ça à des troubles psychiques. On se situe entre le rêve et quelque chose de plus inquiétant… »
Sur Un Volontaire, le personnage solitaire cherche quelqu’un avec qui fuir la Terre. Le grand départ, c’est quelque chose qui vous tente ?
Michael Liot : « Fuir, oui, mais où ? Il s’est écoulé un certain temps entre la première chanson et celle-ci : la mutation a eu lieu, la planète est déjà très transformée. Le personnage imagine qu’il peut partir, fuir la Terre, pour recréer quelque chose de nouveau. Globalement, dans l’album, on imagine plusieurs situations mais on ne se met pas dans la peau de chaque personnage, en se disant « C’est comme ça que je réagirais, moi ». Végétal digital est une grande histoire avec tout un tas de personnages qui ont chacun leurs envies et leurs raisons. Certains choisissent de résister, d’autres de fuir. Fuir, en fait, dans la situation dans laquelle on est aujourd’hui, c’est laisser les choses se faire, ne rien faire. Personnellement ou au sein du groupe, on ne considère pas que ce soit la bonne chose à faire. Mais la tentation existe… »
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cet album-concept ? A quel épisode de votre vie cela correspond-il ?
Michael Liot : « Ce disque joue sur deux niveaux. Il y a des choses qui sont purement de l’ordre de l’imaginaire, il y a des choses plus ou moins personnelles. Je pense que ce disque a plutôt été écrit en réaction à des choses qui sont de l’ordre du politique, du culturel, du social, en réaction à ce qu’il se passe dans le monde, plutôt qu’à ce qu’il se passe dans nos vies. On avait besoin de réagir à notre manière à l’inquiétude, à l’angoisse du présent, qui n’est d’ailleurs pas que d’ordre écologique, puisqu’on vit une crise politique majeure. L’album précédent, Sign out, était beaucoup plus inspiré de ruptures et de crises personnelles, de relations humaines. Il était plus intime. Là, l’album est plus ouvert vers le monde. »
Vous composez « en réaction » mais cette réaction vous mène la beauté, vers une écriture particulièrement soignée…
Michael Liot : « Les outils qu’on a à notre disposition, nous, les musiciens, permettent de transformer une sensation d’impuissance en mélodies. On ne prétend pas éveiller les consciences. On n’essaie pas de se positionner dans le champ de la chanson révoltée. On partage juste quelque chose que tout le monde ressent, cette impuissance, cette angoisse, mais en lui donnant une tournure singulière, qui mélange réalisme et merveilleux. Il y a dans ce disque une référence très claire à Gabriel García Márquez, un auteur que j’aime beaucoup, champion du réalisme magique. Il parlait de situations très conflictuelles en utilisant le merveilleux. J’aime cette approche en douceur. Nous nous plaçons dans la douceur, plutôt que dans le cri ou le hurlement. On essaie d’intérioriser le monde et, via le filtre de l’imaginaire, de le rendre un peu plus beau. »
Photo de têtière : François Mauger
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