Carve the Runes then be content with silence, le nouvel album d’Erland Cooper, a été publié le jour de l’équinoxe d’automne, le 20 septembre. Ce n’est pas sa seule originalité : la bande issue du mixage a été enterrée pendant plusieurs années dans un endroit mystérieux sur l’une des îles des Orcades, au nord de l’Ecosse. La bande a été exhumée – Hallelujah ! – et il est désormais possible d’écouter ce long concerto inspiré par des poèmes de Mackay Brown et basé sur de petits motifs d’inspiration traditionnelle, répétés et modulés avec majesté. Le compositeur revient ici sur son geste créatif…
Vous avez laissé cette bande magnétique dans le sol pendant 3 ans. Ne craigniez-vous pas de perdre ces mois de travail ?
Erland Cooper : « Non, je n’avais pas peur. J’avais anticipé ce qui pouvait arriver. C’était une méditation sur la valeur et sur la patience. Et, bien sûr, une méditation sur le risque. Même si la bande avait été effacée, même s’il n’était plus resté que le silence, il aurait fallu le célébrer. Mais, comme nous le savons, la musique est restée, pleine de couleurs et de formes. Cela symbolise, pour moi, la résilience ».
Trois ans, c’est très long dans le monde d’aujourd’hui, où tout doit être instantané. Votre geste était-il aussi une façon de défier notre goût pour la vitesse ?
Erland Cooper : « Ce n’était effectivement pas uniquement une collaboration avec la nature ; c’était aussi une collaboration avec le temps. Comme vous le dites, dans ce monde où tout va si vite, trois ans semble long mais, en fait, c’était juste la bonne durée. Au début, je pensais faire durer l’enterrement cinq ans. Un an, c’était trop court. Deux ans aussi. Trois ans semblait la bonne durée parce que cela me permettait de faire une pause, de m’éloigner un peu. »
Vous parlez d’une collaboration avec la terre. Croyez-vous à une sorte d’animisme artistique ?
Erland Cooper : « Il n’est pas rare, pour les compositeurs, d’écrire à propos du monde naturel. De Messiaen à Benjamin, en passant par Caroline Shaw, beaucoup l’ont fait. Je me suis demandé s’il était possible de ne pas écrire à propos du paysage mais d’écrire avec le paysage. J’ai voulu collaborer avec le sol, en faire un outil aléatoire, un élément de la composition basé sur la chance. La question de la collaboration est essentielle. Tu écris sur une feuille, puis tu la donnes à un violoniste, comme Daniel Pioro, et il interprète ce que tu as écrit. Tu entends alors, de façon immédiate, sa réaction. C’est la première collaboration mais il y en a des dizaines d’autres, des ingénieurs du son aux producteurs. J’en voulais d’autres encore, alors je me suis dit « Voyons ce qu’il va se passer, voyons si quelqu’un va trouver la bande ». Elle aurait pu être déterrée par un chien ou finir dans le grenier de quelqu’un. Mon numéro de téléphone était dans une lettre qui accompagnait la bande mais la personne qui l’aurait trouvée aurait pu choisir de ne pas m’appeler. Tout cela est une question de collaboration, de hasard. Et c’est ce qui fait le prix de ce projet, ce qui me met en joie. J’ai essayé de trouver le moment, l’endroit, dans le processus de collaboration, qui me plaît le plus. Ce qu’on appelle la joie ou le contentement. Quand tu écris un article, qu’est-ce que tu apprécies le plus ? Est-ce de rencontrer Patti Smith ? Est-ce d’aller aux concerts ? Est-ce de voir l’article publié ? Ou est-ce d’entendre un lecteur dire « J’ai aimé ton article, merci » ? Je me posais des questions équivalentes. »
Aujourd’hui, nous pouvons finalement écouter ce disque. Comment le décririez-vous ? J’ai souvent lu l’adjectif « néo-classique » dans les critiques…
Erland Cooper : « Je comprends que ce mot soit utilisé. Mais, tout ce que je sais, c’est que j’ai écrit un concerto pour violons en trois mouvements, avec une orchestration traditionnelle, combiné à de la poésie, à de subtils éléments électroniques et à la manipulation de bandes. Je ne saurais pas définir son genre, ce n’est pas mon rôle. Le public trouvera la musique qu’il veut écouter et lui donnera le nom qu’il souhaite. »
Cette bande a été enterrée, celle de Folded Landscapes a été soumise à la chaleur d’un été londonien. Que va-t-il arriver à la prochaine ?
Erland Cooper : « Peut-être que je l’enverrai dans l’espace… Je ne suis pas sûr, je vais y réfléchir. J’ai enterré quelque chose dans le sol pour cent ans. Mais je ne serai plus que de la poussière quand cette chose sortira. Peut-être qu’à l’avenir, j’aurai envie de collaborer plus longuement avec le temps… »
Photo de têtière : François Mauger
Autres photos : Samuel Davies, Rebbeca Marr
Pour aller plus loin…
Le site web d’Erland Cooper