Eric Sauquet : « Les scientifiques doivent sortir des canaux ordinaires de communication »

Nous connaissons tous les sons des rivières d’hier et d’aujourd’hui, celles dans lesquelles nous nous sommes baignés ou avons pagayé. Mais comment sonneront les rivières de la fin de ce siècle ? Y aura-t-il encore de l’eau sous le pont Alexandre III ? Est-ce que la Dordogne débordera ? Le travail d’Eric Sauquet est d’anticiper les évolutions hydrologiques en France. Pour faire connaître les résultats du projet Explore2, sous-titré « Des futurs de l’eau », il a eu l’idée de les faire mettre en musique. Un piano synthétique représente ainsi les anomalies positives de débit, tandis qu’un hang réagit aux anomalies négatives modérées et une basse aux très grandes écarts négatifs par rapport à la moyenne. Le docteur en hydrologie présente cette initiative…

Vous avez mis en musique le débit de 26 rivières françaises. De quelles données exactement êtes-vous partis pour ce projet ?

Eric Sauquet : « Nous sommes partis des résultats du projet Explore 2, un projet qui a pour objectif d’actualiser les connaissances sur l’impact du changement climatique en France métropolitaine, en matière d’hydrologie. Là, principalement, ce sont des données de débit qui ont été simulées entre aujourd’hui et la fin du vingt-et-unième siècle. Tout ça en intégrant les scénarios du Giec et donc des visions et des trajectoires climatiques différenciées. »

Vous avez étudié le sort de rivières très diverses…

Eric Sauquet : « 4 000 points de simulation ont été considérés pour Explore 2. On a de l’information sur l’évolution des débits à ces 4000 points. Pour la mise en musique, on a identifié un certain nombre de grands bassins versants. Ce sont principalement les grands fleuves, les grandes rivières. »

Qui a réalisé la sonification ? Avec quels outils ?

Eric Sauquet : « La personne qui a mis en musique s’appelle Ivan Horner. Il a sa propre structure. C’est un ancien doctorant de l’Inrae. Il avait déjà l’expérience d’une mise en musique, non pas de données du futur mais de données du passé. Il avait travaillé avec un autre collègue qui s’appelle Benjamin Renard. On est trois personnes impliquées, à un moment ou à un autre, dans ce projet de mise en musique des données d’Explore 2. On a utilisé des outils informatique de traitement des données auxquels Yvan a ajouté ses propres algorithmes. »

Où peut-on entendre ces productions ?

Eric Sauquet : « Le site est explore2enmusique.github.io. On peut y choisir le bassin versant qui nous intéresse, les rivières ou les fleuves qui nous touchent. On a essayé d’offrir un regard sur les futurs possibles. On a fait entendre des évolutions contrastées en termes de données. On a pris des résultats de simulation sous un climat très chaud et très sec, sous un climat modérément réchauffé… Bref, on a essayé de donner 4 visions du futur, associées à 4 visions des débits de ces 26 fleuves et rivières de France. »

Pourquoi changer de medium ? Pourquoi passer de données scientifiques à des notes ?

Eric Sauquet : « Pour nous, c’est une partie de notre effort pour faire connaître les résultats de la science. On sait que certaines personnes sont allergiques aux graphiques produits par les scientifiques, avec des courbes dans tous les sens. L’idée est d’attirer les curieux, de proposer une autre manière de présenter les données. Aujourd’hui, on n’a aucune idée de qui peut être intéressé par ce type d’exercice. Ça fait partie des supports multiples de communication des résultats. Nous, en tant que scientifiques, évidemment, on privilégie souvent les documents techniques, les rapports, les articles scientifiques, les conférences, les mooks… L’arsenal classique de transfert de connaissance ! Mais on essaie d’être vigilant sur la communication des résultats, d’atteindre un cercle beaucoup plus large. L’idée d’une mise en musique m’a traversé l’esprit. J’ai contacté Ivan, qui a réalisé le travail : la mise en musique, le portail… Il faut que les scientifiques prennent conscience qu’il faut sortir des canaux ordinaires de communication pour sensibiliser le public à des enjeux importants : le changement climatique, notre avenir, tout ça. »

Etes-vous fier du résultat ?

Eric Sauquet : « Assez fier, oui. Le résultat est sympa. On entend la musique et on découvre en même temps l’animation. On ne fait pas qu’entendre le changement climatique, deux sens sont activés. Evidemment, on aurait voulu aller plus loin sur la sonification. On a fait jouer 4 instruments (le piano, le hang, la basse et la batterie) mais on aurait voulu personnaliser d’avantage les ambiances climatiques, pour que la musique évoque plus de choses. Peut-être aller vers une ambiance flamenco pour les projections les plus sèches, pour donner une identité plus forte, ou vers une ambiance western, avec un harmonica. On n’a pas eu le temps de le faire mais le résultat, tel qu’il est, est déjà très satisfaisant. A la fin, pour certaines projections climatiques, un son récurrent prend le pas sur les autres : on entend les changements les plus frappants des débits. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web d'Explore2enmusique

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