En 1893, Antonín Dvořák passe l’été à Spillville, petit village de l’Iowa, dans le midwest états-unien. Il est à cette époque directeur du Conservatoire national de New York, où il donne des cours de composition. Ce qui l’a attiré à Spillville, c’est la présence d’une communauté de paysans originaires de Bohême. Parmi eux, il écrit le Quatuor à cordes n° 12 en fa majeur (B. 179, op. 96), plus connu sous le nom de Quatuor « américain », qui deviendra l’une des œuvres les plus connues, après sa Neuvième symphonie, dite « Du Nouveau Monde ».
Dvořák a expliqué avoir été en partie inspiré par un oiseau entendu à Spilville. Jusqu’à présent, il était établi qu’il s’agissait d’un piranga écarlate (en latin « piranga olivacea », en anglais « scarlet tanager », autrefois appelé en français « taranga écarlate »), un passereau magnifique, surtout à la saison des parades nuptiales, lorsque le mâle arbore une robe rouge et noire. Le problème est que le chant du piranga écarlate correspond bien peu à la musique qu’a écrite Dvořák…
Pourtant, dans une lettre de 1927 au biographe de Dvořák, Josef Kovařík, qui était alors son secrétaire écrit : « le premier matin, tandis qu’il marchait dans la forêt, il est tombé sur un oiseau, qu’il a regardé pendant une heure. Il était rouge, avec des ailes noires, et n’arrêtait pas de chanter ».
Le professeur de biologie Mark J. McKone et le musicien David A. Beccue ont enquêté sur ce mystère pour la Nineteenth-Century Music Review. Ils relèvent que Kovařík a utilisé dans sa lettre le mot tchèque « sledoval », qui peut certes être traduit par « regarder » mais aussi par « suivre », « poursuivre » ou « pister ». Il se peut que, comme cela arrive souvent aux ornithologues, Dvořák ait longuement écouté un autre oiseau, sans le voir, puis aperçu le piranga écarlate et associé le chant à ce passereau.
Dès lors, quel oiseau figurerait réellement au générique du troisième mouvement, « molto vivace » ? Mark J. McKone et David A. Beccue reprennent l’hypothèse de Ted Floyd, le rédacteur en chef de Birding magazine : il s’agit d’un viréo à œil rouge (en latin « vireo olivaceus », en anglais « red-eyed vireo »), un passereau au dos olivâtre et au ventre jaune pale. Sa robe est moins éclatante que celle du piranga écarlate mais son chant bien plus inspirant. Dans leur article, les deux auteurs analysent longuement la partition et prouvent que l’oiseau y joue un rôle bien plus important qu’on ne le pensait auparavant.
Au tout début de Dans ce jardin qu’on aimait, Pascal Quignard évoque le séjour à Spilville de Dvořák. Ceux qui voudraient revenir aux sources du Quatuor à cordes n° 12 seraient bien inspirés d’écouter le chant du viréo à œil rouge, il constitue la bande-son de cet été américain…
Pour continuer... Retrouver Pascal Quignard dans la bibliothèque de 4'33 magazine
Photo : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Lire l'article de Mark J. McKone et David A. Beccue : https://www.cambridge (...) .org/core/journals/nineteenth-century-music-review/article/iowa-bird-that-inspired-antonin-dvoraks-american-string-quartet-in-1893-controversy-over-the-species-identity-and-why-it-matters/AC8170EB99A6C22DADF4F97484CB7D29 Ecouter le viréo à œil rouge : https://www.oiseaux (...) .net/oiseaux/vireo.a.oeil.rouge.html