Ils se présentent comme un « trio afro-rock-psychédélique » mais « c’est un peu court », comme aurait dit Cyrano. Le groupe que forment Jérémy Couraut, Antoine Perdriolle et Menad Moussaoui mérite d’autres qualificatifs. Les mots « traditions » (éventuellement accompagné du préfixe « néo »), « transe », « nissart » (le dialecte de langue d’oc parlé dans la région de Nice) et « éloquence » seraient nécessaires pour dépeindre leur musique. Longue discussion avec le fondateur du trio à l’aube de la parution de Potion, nouvel album particulièrement tonique…
Peut-on dire que beaucoup de choses dans cette aventure partent d’un fruit, la cougourde, et que sa découverte a été pour vous un déclic ?
Jérémy Couraut : « Oui, la découverte de cette calebasse a été un acte fondateur. J’ai longtemps voyagé de par le monde en me demandant quelle musique je voulais faire. A un moment, je suis revenu vers la région qui m’a vu grandir, vers Nice, et je suis tombé sur une image d’un instrument du pays niçois fabriqué avec une calebasse. J’ai cherché un luthier. J’ai rencontré Jérôme Désigaud, avec qui on travaille depuis 17 ans. On a fait revivre ces instruments, notamment l’espina, l’instrument qui me sert dans Djé Balèti. A partir de là, j’ai pu faire ce que j’avais envie de faire : chercher à la fois à m’exprimer très librement et, en même temps, à fouiller dans le patrimoine complètement endormi sur lequel on est assis, en France en général et en Occitanie en particulier. »
Que dire de cette calebasse parfaite pour la fabrication d’instruments de musique ?
Jérémy Couraut : « Le nom latin de cette calebasse est Lagenaria siceraria. On la retrouve un peu partout dans le monde. Le sitar indien, par exemple, est issu de ce matériau. Les koras, les ngonis d’Afrique de l’ouest sont fabriqués comme ça aussi. Il se trouve que, dans la région niçoise, il y a cette calebasse qu’on appelle « cougourdon ». Elle permet de fabriquer toutes sortes d’ustensiles. Cette calebasse est un allié de l’humain depuis la nuit des temps. C’est peut-être même la première culture de l’être humain. A un moment, on s’est aperçu que ce matériau était creux, ce qui est assez rare dans la nature (il y a aussi le bambou). Il a permis de faire tous les ustensiles de cuisine, tous les ustensiles pour transporter de l’eau… C’est pour ça que la gourde s’appelle ainsi. On s’est aussi rendu compte que cette calebasse résonnait, qu’elle sonnait bien. La plupart des instruments à cordes sont inspirés des formes de cette calebasse. Nous, on a la chance d’avoir cette tradition qui est restée, un peu comme un archaïsme protégé par miracle, la tradition de l’espina, un instrument à cordes très ancien. »
Une quinzaine d’années après avoir découvert cet instrument, vous publiez Potion, le quatrième album de Djè Baléti. C’est un disque engagé. Vous y décrivez un monde d’harmonie. Pour y parvenir, faut-il compter sur un « miracle », comme vous le chantez ?
Jérémy Couraut : « C’est possible ! C’est vrai que je suis passionné par les découvertes de la science, qui nous disent que la pensée a une action sur la matière. Pour Le Miracle, je suis parti de ce point de départ : si on a une pensée, si on a une direction dans ce monde, si on cumule l’action matérielle et la pensée, on a une chance que les choses changent. J’ai souvent des confirmations de cette idée en écoutant les scientifiques. Ils expliquent que notre monde existe parce qu’on le pense comme ça. J’ai vraiment l’impression que, si on pense le monde autrement, il peut être autre. Certaines chansons sont assez pragmatiques, elles font des propositions d’interaction avec le monde réel, mais d’autres se tournent vers la spiritualité, une spiritualité axée sur la mythologie carnavalesque, un univers qui existe ici mais qui est peu connu, en fin de compte. »
Dans le monde réel, que souhaiteriez-vous voir changer ?
Jérémy Couraut : « Dans l’une des chansons, je propose de faire l’aumône inversée. C’est une pensée carnavalesque : ceux qui ont vraiment besoin d’aumône, ce sont les dirigeants, les riches, des gens qui ont un manque d’humanité énorme. Il faut commencer à inverser le monde et se dire que, oui, bien sûr, on a besoin de choses matérielles pour vivre (les gens qui sont dans la misère, il faut les aider, c’est sûr) mais on devrait aussi aider, presque en priorité, les gens qui mettent les autres dans la misère. »
L’écologie est très présente dans vos chansons…
Jérémy Couraut : « Oui. En écoutant des scientifiques ou des gens dont la pensée échappe aux médias habituels, je me suis rendu compte qu’on ressasse tout le temps les mêmes idées, notamment l’idée qu’il faut combattre pour y arriver, qu’il faut être le meilleur, le plus fort… Mais, en fait, on se rend compte aujourd’hui que les espèces qui sont les plus anciennes sur cette planète sont celles qui ont coopéré, pas celles qui ont combattu. Les champignons, par exemple, sont là quasiment depuis l’arrivée de la vie sur terre et ils ne font que coopérer. L’idée serait d’agir de la même manière. »
Vous utilisez beaucoup la métaphore culinaire, et pas seulement dans Gargantua. La cuisine, les aliments, tout ça est au cœur de votre vision d’un monde idéal ?
Jérémy Couraut : « C’est vrai ! Moi, je suis niçois et, à Nice, la gastronomie, ça compte. Gargantua est une métaphore du capitalisme. Il mange tout sur son passage. Aujourd’hui, on est en train de tout bouffer. Je n’apprends rien à personne. Disons que la nourriture décrit notre rapport au monde, la façon dont on échange avec ce monde. Pour avoir, il faut donner. L’idée d’un agriculture qui replace le vivant au centre des préoccupations est incontournable. On ne peut pas dominer la nature. Notre pensée vient beaucoup de la religion catholique, qui a donné à l’homme le pouvoir de dominer la nature, mais je pense qu’il faut sortir de ce schéma. En France, on baigne dans cette pensée, avec les jardins à la française qui incarnent vraiment la domination de la nature. L’idée serait de sortir de ce rapport dominé / dominant. On a envie d’en sortir également sur la question de la place des femmes, sur la question des peuples… Il faut sortir de notre rapport de domination de la nature. Il faut se remettre dans un rapport de coopération. Personne n’y gagne, quand il y a une domination : celui qui domine est frustré d’un rapport humain généreux, celui qui est dominé souffre de sa domination. »
Dans ce disque, on entend beaucoup de choses mais, personnellement, j’entends surtout le public pour lequel vous chantez. J’ai l’impression qu’il est très présent à votre esprit. Quel est votre rapport à ce public ?
Jérémy Couraut : « Ça me fait très plaisir que vous ayez entendu ça… L’adresse que je fais dans les chansons est primordiale. La première chose à laquelle je pense, c’est : dans quelle posture mets-je la personne qui m’écoute ? Qu’ai-je à échanger avec elle ? Qu’est-ce que je lui donne ? Qu’est-ce qu’il ou elle me donne ? Comment peut-il ou peut-elle se servir de ce que je lui dis ? Je n’ai pas envie d’asséner des vérités écrasantes, parce que je n’aime pas le faire non plus dans les discussions. J’essaie d’avoir ce rapport-là au monde et au public pour lequel je chante. La première question que je me pose, c’est : à qui je m’adresse ? Et quelle place je lui laisse ? »
Et à qui vous adressez-vous ? Doit-on vous rattacher à la scène folk occitane ?
Jérémy Couraut : « J’ai envie de m’adresser à tout le monde. Mes idées sont assez tranchées, elles peuvent scinder le public. Mais je ne mets pas les gens dans des cases. J’écris pour tout le monde, pour des personnes qui peuvent être dans le milieu trad’ occitan mais aussi pour les autres. Je m’adresse aux gens qui ont envie de se poser des questions, qui sont ouverts à des choses qui ne sont pas forcément normées ou nommées, et je propose des sujets sur lesquels on pourrait échanger. »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin : la page Facebook de Djé Balèti