Des scientifiques à l’écoute des lémuriens chanteurs

Quelle est l’origine du rythme ? En étudiant ce qui unit et ce qui distingues les espèces animales, les biomusicologues éclairent peu à peu la longue histoire des musiques humaines : à quelle époque et comment est apparu tel ou tel trait musical. Pendant douze ans, Chiara De Gregorio, une chercheuse de l’université de Turin, a étudié avec quelques collègues les productions sonores des lémuriens des forêts tropicales de Madagascar. L’une de ces espèces a particulièrement retenu son attention : l’indri (Indri indri), également appelé localement « babakoto ». Ce primate est le plus grand lémurien vivant. Il vit en famille dans la canopée, où il se nourrit de feuilles, de fruits et de graines. Il est classé « espèce en danger critique d’extinction » depuis 2012.

Les scientifiques ont découvert que les indris chantent en chœur en utilisant des intervalles réguliers entre les sons pour créer des rythmes ou des cadences constantes (isochronie), ce qui n’avait pour l’instant été détecté chez aucun autre mammifère que l’homme. Dans l’étude publiée en 2021 dans Current biology et développée dans un article paru le 25 juin dans les Annals of the New York Academy of Sciences, ils ont repéré dans les cris lancés pour retrouver des membres de la famille, revendiquer des parcelles de forêt ou se livrer à des « batailles vocales » avec des voisins des motifs et des durées dotés des qualités que l’on trouve dans la musique humaine.   

Les indris utilisent par exemple régulièrement un rythme très courant chez les humains, avec des notes deux fois plus longues que d’autres (Andrea Ravignani, co-auteur de l’étude et biomusicologue à l’Institut Max Planck de psycholinguistique aux Pays-Bas, donne comme exemple We Will Rock You de Queen). Le rossignol emploie également parfois ce rythme mais bien moins souvent. Les indris terminent parfois leurs chants par un « ritardando », un passage musical pendant lequel ils ralentissent progressivement, comme cela se fait dans la musique classique.

Une étude sur les rythmes d’autres animaux, comme les cétacés, pourrait être entreprise prochainement pour mieux comprendre la place de l’isochronie dans les pratiques sonores animales. Mais les travaux de Chiara De Gregorio ouvrent déjà de vastes champs de réflexion sur l’évolution, puisque, même si indris et humains ont en commun d’être des primates, leur ancêtre commun vivait à une époque où il y avait encore des dinosaures sur terre… « Nos résultats pourraient éclairer les débats sur les origines de la musique et de la parole » écrivent les auteurs.

Photo de têtière : Christophe Germain (via Wikipedia)
Pour aller plus loin...
L'article paru dans les Annals of the New York Academy of Sciences

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *