Il avait demandé que sa pièce soit jouée sous une lumière bleutée et que les trois interprètes arborent un masque, pour qu’ils « symbolisent les visages puissants et impersonnels de la nature ». Vox Balaenae, l’une des œuvres les plus marquantes de George Crumb, était en effet plus qu’une célébration du chant des mammifères marins. Le compositeur y ordonnait tout un océan de sons, extirpés de trois instruments des plus classiques, une flûte traversière, un piano à queue et un violoncelle. L’ensemble formait un paysage sonore mouvant perçu à travers le temps (les différentes parties de l’œuvre, d’une durée totale d’une vingtaine de minutes, se nomment « Archeozoic », « Proterozoic », « Paleozoic »…).
Publiée en 1971, Vox Balaenae n’était pas un accident dans la carrière de George Crumb. Le compositeur est né en 1929 à Charleston, en Virginie-Occidentale, une ville que traverse la rivière Kanawha, dont le son rebondit de colline en colline. Est-ce de là que vient l’intérêt de cet inlassable explorateur de timbres inhabituels pour le son, bien au-delà de la note ? Toujours est-il que ce sens du son dans l’espace habite ses premières compositions, comme Eleven Echoes of Autumn (1965) ou Echoes of Time and the River (1967). Cet admiration de Mahler s’intéressait également à l’ensemble du vivant. Un an avant la publication de Vox Balaenae, il imitait déjà, par exemple, les productions sonores des grillons dans Ancient Voices of Children.
Celui que le Los Angeles Times salue comme « l’un de nos meilleurs, plus originaux et plus importants compositeurs », « aussi américain que la tarte aux pommes », s’est éteint le 6 février à Media, en Pennsylvanie, à l’âge de 92 ans. Les baleines perdent un admirateur et un ami…
Photo de têtière : François Mauger