Qu’entend-on lorsqu’on se penche par la fenêtre, que ce soit en Colombie, en Pologne, en Norvège ou en Argentine ?
Petit tour du monde en dépit du confinement…
Fenêtre ouverte sur la Colombie
En Colombie, la lutte contre le Covid 19 a pris des dimensions dantesques : les habitants ont été confinés 159 jours, de la fin mars à la fin août 2020. Puis les espaces culturels sont restés fermés, du fait de couvres-feux. Le Kaputt, l’une des discothèques les plus avant-gardistes de Bogotá, a maintenu le lien avec les danseurs en leur lançant une étrange invitation : les DJs Jorge Pizarro et Felipe Rodríguez leur ont demandé d’enregistrer les sons perceptibles depuis leur fenêtre. Les deux hommes ont reçu des centaines d’enregistrements. Ils ont alors fait paraître une série de compilations en partenariat avec Voz Terra, une association de protection de l’environnement fondée par Héctor Buitrago, du groupe de rock Aterciopelados. Sur ces disques, des artistes du monde entier mixent les sons captés (à Bogotá, mais aussi dans la réserve Van der Hammen et dans la zone humide de La Conejera). On y entend le merle américain, le colibri, le bruant chingolo… Le Français Dombrance a pour sa part titré sa contribution Pollona azul, du nom de la « talève violacée » (porphyrio martinicus), un oiseau aquatique cousin de la poule d’eau, au corps bleu violacé et aux ailes d’un vert iridescent, que l’on retrouve également en Guyane.
Fenêtre ouverte sur la Pologne
La fenêtre du Warsaw Village Band donne-t-elle sur la Vistule ? Le fleuve, qui passe par Varsovie avant de se jeter dans la mer Baltique près de Gdańsk, leur a en tout cas inspiré un album remarquable, Uwodzenie (Waterduction). Le groupe pratique depuis un peu plus de 20 ans ce qu’ils appellent pour s’amuser de la « bio techno » ou du « hardcore folk » : une musique dont la source se perd dans un passé dont peu se souviennent mais qui irrigue le présent de sa beauté rugueuse. Les huit musiciens se surpassent sur cet album sorti fin novembre et qui caracole actuellement en tête des « World Music Charts » (un classement établi par des animateurs radio spécialisés). La trompette de Miłosz Gawryłkiewicz, en particulier, fait des étincelles sur le titre de 7 minutes qui donne son titre à l’album. Le poète Marcin Świetlicki a descendu la Vistule en radeau pour participer à cet enregistrement. Violons âpres et grisants, basse impeccable, tambours grondants, voix piquantes… Tout donne envie de le rejoindre à bord.
Fenêtre ouverte sur la Norvège
Sinikka Langeland a-t-elle seulement une fenêtre lorsqu’elle part chercher l’inspiration dans sa forêt ? Là, parmi les Skogfinns (« les Finlandais des forêts »), au cœur d’une nature restée en partie sauvage, elle collecte des chants runiques chamaniques ou écrit de nouveaux textes à partir de sources poétiques vouées à l’oubli. La chanteuse et joueuse de kantele (une cithare traditionnelle) a déjà enregistré pour le label ECM plusieurs albums avec quelques-uns des meilleurs jazzmen finnois, norvégiens et suédois. Elle revient cette année avec un disque enregistré seule à Oslo, Wolf rune. Douze titres limpides peuplés de baleines, d’élans, de forêts et donc de loups. Rarement une artiste aura incarné avec une telle tranquille sobriété l’esprit de la Scandinavie…
Fenêtre ouverte sur l’Argentine (et au-delà)
La fenêtre d’Ignacio Maria Gomez a toujours été grande ouverte. L’Argentin l’a d’ailleurs enjambé très tôt pour partir parcourir la planète. Du Mexique à la Colombie, il a passé plusieurs années sur les routes, un balafon africain sous le bras. Cet indomptable vagabond est en effet obsédé depuis sa jeunesse par les rythmes et le répertoire de la Guinée. Dans sa musique, il opère donc un rapprochement des continents, réunissant l’Afrique et les Amériques dans ses moelleuses percussions et son chant apaisant, inventant une langue qui, n’étant à personne, serait à tous. Son univers – les notes de pochette décrivent « un paradis terrestre où humains et nature ne font qu’un sous le regard bienveillant de la divine Pacha Mama » – est si attirant que de nombreux musiciens parisiens (Naïssam Jalal, Ballaké Sissoko, Vincent Segal, Loy Ehrlich…) ont tenu à figurer au générique de son premier album, Belesia. L’attachante philosophie sans-frontière du chanteur oblige à ouvrir les yeux autant que les oreilles : utopie et écologie peuvent-elles durablement rimer ? Peut-on être à la fois physiquement en mouvement et intimement connecté à son environnement ? Tel la pierre qui roule, celui qui ne cesse de voyager est-il condamné à vivre hors-sol ? Ou bien, tel le lierre, l’artiste doit-il se fixer et s’adapter à ce qui l’entoure, alors qu’il rêve d’autres horizons culturels ? Être ou exister… L’animatrice de Radio Nova Jeanne Lacaille cite, pour expliciter la quête d’Ignacio, cette maxime de Carl Jung : « Tout ce qui ne remonte pas à la conscience revient sous forme de destin ». A ruminer en écoutant le disque.
Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Le site de l'association colombienne Voz Terra Le site du Warsaw Village Band La page dédiée à Sinikka Langeland sur le site du label ECM La page dédiée à Ignacio Maria Gomez sur le site de l'agence Hélico