Il le raconte ici : pendant le confinement, le compositeur David Chaillou observait depuis son bureau un platane tout en noircissant une partition. La composition qui en est née, Vita Nova, va bien au-delà de l’arbre voisin : l’auditeur a la sensation de se trouver au cœur d’une forêt de feuillus grouillante de vie. Magie de la musique, qui se reproduit tout au long de Natures, le deuxième recueil d’œuvres du compositeur quinquagénaire ! Il le présente…
Pourquoi avoir choisi d’intituler cet album Natures ?
David Chaillou : « Parce que c’est une série de 10 paysages imaginaires. Tout tient au pluriel de Natures. Il ne s’agit pas d’une vision naturaliste d’espaces mais bien d’une perception d’un espace, une perception subjective : un espace extérieur rentre en rapport avec l’espace intérieur d’un musicien. »
Dans le livret, les auteurs (Frédéric Sounac et Bénédicte Gorrillot) reviennent à l’étymologie du mot « nature » : « ce qui donne la naissance ». Quelle est votre définition du mot « nature », en ces temps où il fait l’objet de grands débats ?
David Chaillou : « Oh, j’aurais besoin d’une multiplicité de mots… J’aurais même des difficultés à la définir, cette nature, mais je dirais que c’est notre espace, c’est l’espace que l’on doit partager, c’est un espace à respecter, c’est aussi un espace qui amène des espaces mentaux, qui transforme nos espaces mentaux. Dès lors, la définition est nécessairement en mouvement. »
Le disque s’ouvre sur Vita nova, une composition qui évoque l’émergence puis le développement parfois difficile du vivant. Qu’est-ce qui vous l’a inspirée ?
David Chaillou : « C’est une composition que j’ai commencée pendant le Covid. J’étais dans un espace clos et je rêvais d’un espace ouvert, d’une énergie exubérante. Je regardais par la fenêtre un arbre, un platane, et je me suis focalisé sur cet arbre, sa vie, tout ce qu’il se passait sur ses branches, les animaux qui le fréquentaient. Les oiseaux, notamment. Le monde des oiseaux est très présent chez moi, il m’inspire beaucoup. Plus largement, je m’intéressais aux sons de la nature. Pour moi, la nature est d’abord un espace sonore. Elle me donne des idées. »
Votre musique cherche-t-elle à être figurative ?
David Chaillou : « Je ne sais si elle cherche à être figurative. Disons que j’essaie d’exprimer ce que je ressens. Dans ce que je ressens, il y a forcément des images mais ces images ne représentent pas nécessairement quelque chose. »
Est-ce que l’adjectif « impressionniste » conviendrait mieux ?
David Chaillou : « Oui, le point commun étant la déformation. La musique est un art du temps. On déforme le temps et on peut aussi revenir en arrière. On peut superposer des couches différentes de temps. Dans ma musique, j’essaie d’amener l’auditeur dans une direction sur la flèche du temps mais, en même temps, je me permets un retour en arrière, de m’arrêter sur un moment, quitte à ce que l’espace se dilate. J’aime jouer sur des sensations différentes de la temporalité, qui donnent une sorte de polyphonie. »
Est-ce un hasard si, sur ce disque, Forêt est suivi de Désert ?
David Chaillou : « Non. Ce n’est pas un hasard. Y a-t-il derrière une angoisse que la forêt devienne un désert ? Difficile à dire… En tout cas, ce sont deux espaces contrastants et, moi, je joue beaucoup sur l’idée du contraste. Tout ce disque est construit sur l’idée d’un cheminement, d’une perception matinale à une perception nocturne. Souvent, le matin, on ne perçoit pas les sons de la même manière que la nuit. Il n’y a pas la même perception de l’espace, comme, par exemple, il n’y a pas la même perception de l’espace dans un environnement chaud et dans un environnement froid. J’ai eu envie de jouer là-dessus. »
Le contenu de ce disque sera-t-il donné un jour en concert ?
David Chaillou : « J’aimerais beaucoup que ce disque soit joué en concert du début jusqu’à la fin et peut-être avec une mise en espace, en travaillant avec des créateurs, des vidéastes… J’aimerais que ce concert ait une temporalité surprenante parce que ce disque travaille sur la mise en relation de deux espaces, l’espace secret, intérieur, de quelqu’un qui écrit, confronté à l’espace qui l’entoure, à l’extérieur. Cette confrontation se joue sur une frontière et, moi, j’aime travailler sur ce thème : la frontière comme entremêlement d’états différents. »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de David Chaillou