Dans l’imaginaire collectif, les bluesmen et les blueswomen sont rarement associés à l’écologie. Pourtant, ils ont longtemps eu un rapport fort avec leur environnement. Mais ce rapport n’était pas militant : ils étaient simplement liés à leurs champs, à leurs bois, à leurs bêtes (quand ils en possédaient), parce qu’ils venaient du monde des ouvriers agricoles. Ils n’appelaient pas à préserver la nature, la question ne se posait pas en ces termes : jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ils vivaient en son sein, loin des grandes villes. Les premiers blues connus que l’on pourrait connecter aux questions environnementales sont liés à la crue catastrophique du Mississippi de 1927 : Backwater blues de Bessie Smith ou When the levee breaks de Memphis Minnie et Kansas Joe McCoy (popularisé par un fameux motif de batterie sur le quatrième album de Led Zeppelin, sorti en 1971). Ailleurs, les premiers bluesmen chantent les animaux qui les entourent : le coq (Little Red Rooster de Big Mama Thornton), la chouette (Screech Owl Blues de Ma Rainey), la grenouille (Toad Frog Blues de Ma Rainey également), le poisson-chat (Catfish blues de Robert Petway, repris et adapté par des centaines d’interprètes, dont Jimi Hendrix)…
L’écologie telle que le vingt-et-unième siècle l’entend n’arrive dans le blues qu’avec le revival des années 1960. C’est par exemple en 1968 que paraît Going Up the Country. Chanté à Woodstock, ce titre du groupe Canned Heat parle de « quitter la ville », de « s’enfuir » « là où l’eau a le goût du vin ». Il a été écrit par un personnage hors du commun, le chanteur Alan Wilson, né à Boston mais vite devenu un pilier de la scène blues californienne, naturaliste passionné, toujours un livre de botanique à la main.
Un demi-siècle plus tard, Seasick Steve prend le relais. Ce musicien septuagénaire, qui a un moment accompagné Lightnin’ Hopkins, a connu la Californie des années 60. Il la chante sur San Francisco Sound ’67, le troisième titre de son nouvel album, A trip, a stumble a fall down on your knees. Mais il s’inscrit plus directement dans la lignée d’Alan Wilson avec le premier titre : Move To The Country. Il y chante l’urgence de changer de vie : « Tu dois déménager à la campagne / Laisse tes téléphones derrière toi / C’est calme à la campagne / Il est temps de te déconnecter ».
Un peu plus loin sur le même album, Seasick Steve enfonce le clou. Sur Internet cowboys, il scande : « Tu passes toute la journée sur Internet … / Je suppose que tu ne veux pas de conseils, tu penses probablement que je suis méchant / Parce que je dis juste de te faire une vie et de quitter ces écrans / Éteins ce MacBook Air et change de vie / Procure-toi un tourne-disque ou peut-être une guitare / Passe un peu de temps avec toi-même, essaie de découvrir qui tu es ».
Les fondateurs de Canned Heat – le groupe existe encore mais ne ses créateurs ne sont plus de ce monde – auraient adoré !
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Seasick Steve