Le Tigre de la Caspienne (Panthera tigris virgata) n’existe plus. C’était la sous-espèce de tigre la plus occidentale ; on la rencontrait dans le Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie…) jusqu’à sa disparition complète, au cours des années 1970.
Zach Condon, le chanteur états-unien qui voyage dans le monde entier sous le nom de « Beirut », en fait le sujet de l’une de ses chansons sur son nouvel album, A Study of Losses (« Une étude des pertes »). L’idée vient à l’origine d’une troupe d’acrobates suédois, Kompani Giraff, qui s’est mis en tête d’adapter un livre de l’auteure allemande Judith Schalansky. Publié en France par Ypsilon Éditeur, cet Inventaire de choses perdues évoque la disparition de toutes sortes de choses : un film à jamais inédit de Friedrich Wilhelm Murnau, une île engloutie, des monuments historiques…
Désormais basé en Europe, Zach Condon en tire l’un de ses albums les plus réussis depuis l’ère lointaine de ses chefs d’œuvre, les bouleversants Gulag Orkestar (2006) et The Flying Club Cup (2007). On y retrouve les valses surannées, les accordéons et les ukulélés qui ont longtemps été sa marque de fabrique. De nombreuses plages instrumentales, réclamées par les acrobates, font appel au violoncelle de Clarice Jensen. Mais le chanteur semble également s’être inspiré de la pop expérimentale allemande et les synthétiseurs ont rarement joué un tel rôle dans ses chansons.
Caspian Tiger est de la veine la plus classique : un piano dialogue avec un accordéon, avant que la voix ne s’immisce, suivie par de discrètes cordes. Les différents timbres semblent se superposer, plus que se compléter. Une sensation de solitude se dégage de ces trajectoires parallèles tremblantes. « Toi aussi, tu meurs / Toi aussi, tu es en sécurité » chante Beirut sur le refrain.
En réalité, tout espoir n’est pas perdu de revoir un jour un tigre sur les bords de la mer Caspienne. Il s’avère que le Tigre de la Caspienne appartenait en réalité à la même sous-espèce que le tigre de Sibérie (Panthera tigris altaica). Un programme de réintroduction du tigre au Kazakhstan a donc été lancé en 2017. En 2024, deux tigres de Sibérie nés en captivité aux Pays-Bas ont été réintroduits dans la réserve naturelle d’Ile-Balkhash, qui borde le lac Balkhach et comprend de vastes zones humides. Il n’y a rien de simple dans une perte ou une disparition rappelle le livre de Judith Schalansky mais nul ne peut se placer au-dessus de tout ça, comme Beirut le martèle sur Mare Nectaris (« You can’t be above all this »)…
Photo de têtière : François Mauger