Avec Lorella Abenavoli et Arthur Enguehard, écouter les volcans


Le bioacousticien Bernie Krause distingue trois domaines sonores : la « biophonie », les sons du vivant, l’« anthropohonie », les sons produits par les humains, et la « géophonie », les sons des éléments (le vent, l’eau, les mouvements du sol…). Les premiers sont les plus accessibles ; les mouvements du sol, moins perceptibles, n’en sont que plus fascinants. Une bonne raison d’aller découvrir l’installation intitulée « Etre Terre, Etude n°4, Lignes de temps » que présentent Lorella Abenavoli et Arthur Enguehard, au théâtre de Corbeil-Essonnes, dans le cadre de la Biennale En Commun(s) – Habiter. Leur travail est une invitation à écouter les volcans chanter…

Que verra le visiteur ou la visiteuse quand il ou elle entrera dans la pièce où se trouve Etre Terre ?

Arthur Enguehard : « C’est une question qui amène tout de suite cette problématique : voit-on ou entend-on l’œuvre ? Il y a bien entendu une dimension visuelle mais Etre Terre, c’est avant tout une installation sonore. La première proposition qui est faite au public, c’est de se mettre à l’écoute des vibrations terrestres, qui sont captées sous forme de données sismiques issues de différentes stations de mesure, à différents endroits dans le monde. Ces ensembles de données se succèdent, à raison de 5 minutes par station. En temps quasi réel, il est possible d’entendre ce qu’il se passe là-bas. Visuellement, la première chose que le public perçoit, c’est qu’il arrive dans une salle sombre, dans laquelle règne une certaine chaleur, un climat accueillant. Pour cela, on a un espace central occupé par des coussins géants. On peut s’allonger dessus pour trouver une posture compatible avec une écoute lente, longue surtout. On peut écouter seul ou à plusieurs, collectivement. La salle est chaude, sur le plan de la température mais aussi sur le plan de la lumière, au travers d’une ampoule halogène dont on voit le filament. Depuis notre précédente installation, il y a une dimension visuelle forte liée au sous-titre, « Lignes de temps ». le public voit donc une ligne qui se trace dans l’espace, qui se balade, à la fois sur les coussins, sur les murs et sur le système son, qui est très apparent. Cette ligne assez joueuse, bleu foncé, est une représentation graphique des données sismiques qu’on écoute. Cette ligne est mise en dialogue avec une série de ce qu’on a appelé des « partitions sismiques ». Ces 6 tableaux qui forment un polyptyque correspondent à 6 stations différentes. Ils représentent le son, qui, d’habitude, est montré sur deux axes : un axe vertical et l’axe du temps. Cela donne la forme d’onde du son. Là, les ondes sismiques se développant en 3 dimensions, on enlève la ligne du temps et on représente l’évolution du mouvement dans l’espace. Ça ressemble à une espèce de nœud. Voilà l’ensemble de l’installation, auquel il faut ajouter la dimension technique, qui est mise en avant. La technique fait partie de la proposition. On ne cherche pas à la cacher. C’est un parti pris écologique ou écosophique fort : l’électronique fait partie de la plastique de l’œuvre. Les enceintes sont avancées dans l’espace, les câbles sont apparents et notre régie est accessible. C’est une dimension importante pour nous. »

Reste la question de l’écoute… Qu’entend-on ? Une sonification des données sismiques ?

Arthur Enguehard : « Oui, le processus qu’on utilise est une forme particulière de sonification, qu’on appelle « audification ». C’est une sonification plus directe, qui rend audible des données qui sont déjà sous forme d’onde. On prend des données sismiques, qui sont donc des formes d’ondes en trois dimensions, dans chaque station. En termes de spectre, on obtient de très basses fréquences. Les sismomètres échantillonnent à 100 hertz. On pourrait reproduire ces ondes mais on ne les entendrait pas. Donc, le premier geste qu’on fait, c’est qu’on les accélère. Pour chaque station, on écoute 2 heures, ou 3 heures, voire 2 jours de données, ramenées à 5 minutes. Ça reste du temps quasi réel, parce que l’installation, chaque fois qu’elle relance une station, obtient les dernières données disponibles. Pour le volcan du Stromboli, par exemple, on écoute les données de 2 heures. Donc, à 18h, on écoute la fin de l’après-midi. »

Quel est votre objectif avec cette installation ? Que souhaitez-vous que le visiteur ou la visiteuse ressente ?

Arthur Enguehard : « Plusieurs choses. La première, c’est une forme d’empathie. Cette œuvre est l’œuvre d’un duo, que je forme avec Lorella Abenavoli. Lorella a travaillé sur des installations comparables au début des années 2000. Elle proposait une expérience d’empathie avec la planète en utilisant le mot allemand « Einfühlung ». Ça fait encore partie de l’ADN de ce qu’on propose. En choisissant le taux d’accélération, on choisit la manière dont les stations vont sonner et ce qu’on recherche, ce sont des sensations corporelles. On peut entendre certaines stations chanter, on peut entendre certaines stations pleurer. C’est très impressionnant. Les gens nous le disent. « C’est dingue, j’ai entendu des oiseaux », disent-ils, ou alors « J’ai entendu des bruits d’os qui craquent ». La deuxième chose qu’on recherche est liée. A travers cette notion d’empathie, on s’intéresse à l’écologie. Si on se sent proche de la Terre, si on la considère comme son prochain, c’est qu’on l’a rencontrée comme une personnalité. Elle change chaque jour. Tous les jours, l’installation sonne de façon différente. On apprend à connaître son caractère, ses humeurs dans les différents territoires. Le matin, le son est différent du soir. On est obligé de venir dans l’installation à une certaine heure pour entendre certaines choses, comme on se lève avant le soleil pour entendre le chant des oiseaux le matin. Ça fait vraiment partie du propos : on donne aux gens l’envie de revenir, d’apprendre, de comprendre comment fonctionnent ces différents territoires. »

Photo de têtière : François Mauger

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