Paganini sous un pin laricio, Rachmaninov sous un hêtre tortillard, De Falla sous un if, Telemann sous un cèdre… A Compiègne et dans ses environs, le Festival des Forêts fait sortir la musique classique des salles de concert. Cette série de concerts, qui débute le 30 mai, s’ouvre en effet sur une série de promenades musicales en plein air, les « bains de forêt musicaux ». Alexandra Letuppe, la directrice du Festival, explique le déroulement de ces concerts atypiques et aborde plus largement la question de la musique en plein air…
Qu’est-ce que c’est qu’un « bain de forêt musical » ?
Alexandra Letuppe : C’est une expérience multisensorielle qui allie les bienfaits que procurent l’écoute de la musique, l’immersion dans la nature et le retour en soi. Les bienfaits de l’écoute musicale ont été démontrés scientifiquement. Je peux en citer quelques-uns : il y a à la fois l’amélioration de la concentration, une forme de résilience, une amélioration de l’écoute des autres et de l’attention portée à son environnement immédiat… La musique a aussi des effets physiologiques sur la sécrétion d’hormones de bien-être. La marche et le contact avec la nature ont des effets comparables. Il a été démontré scientifiquement qu’après dix minutes de marche dans la forêt, on peut déjà ressentir des bienfaits sur notre rythme cardiaque ou notre tension. Le bain de forêt musical permet donc d’atteindre une forme de bien-être physique et psychologique. On y adjoint des pratiques qui viennent de la sophrologie ou du yoga : une dimension d’introspection, d’initiation à la méditation…
Concrètement, quelle forme prend l’événement ?
Alexandra Letuppe : C’est un parcours guidé qui dure trois heures. Il comporte cinq étapes. Chacune d’entre elles noue intimement musique et ressourcement, sous la forme d’une méditation guidée, qui peut être introspective, d’une ouverture sensorielle sur ce qui nous entoure, d’une écoute profonde… Il y aussi des moments de mise en mouvement, les compositeurs classiques s’étant beaucoup inspirés des danses de leur époque. Le parcours en forêt ne présente pas de difficultés. Le circuit est assez court : 4 à 5 kilomètres au maximum, sans dénivelé. Entre chaque halte, la marche est relativement lente et silencieuse. Le participant découvre tout un patrimoine forestier, autant qu’un patrimoine musical, avec des artistes invités. Ce sont souvent de jeunes artistes. C’est le cas cette année avec Marie-Astrid Hulot, violoniste, Gabriel Pidoux, hautboïste, Rémi Delangle, clarinettiste… Ils conçoivent un programme qui s’intègre à notre protocole. Le programme musical est conçu comme celui d’un concert, chaque artiste ayant carte blanche. A chaque étape, une nouvelle pièce constitue un élément d’une sorte de progression dramatique. Chacune des cinq étapes a sa dominante (introspection, ouverture des sens, écoute profonde ou – c’est ce temps qui intéresse le plus les médias – rencontre d’un arbre).
Qu’est-ce que cela change pour l’interprète, de jouer ainsi en forêt ?
Alexandra Letuppe : Je répondrais que cela dépend de l’interprète… Objectivement, il est évident que les conditions acoustiques en extérieur sont très différentes de celles d’une salle, notamment en matière de retour du son. Ce que signale la majorité des interprètes, c’est qu’il leur manque le retour qu’on peut avoir dans un espace réverbérant. Le son part, ils ne l’entendent plus. Mais cette expérience est vécue d’une manière différente d’un interprète à l’autre. L’instrument, évidemment, est un facteur qui différencie très nettement le résultat de la musique en plein air. Des instruments à vent portent mieux dans un environnement extérieur que des instruments à corde. Pour les instruments à corde, il faut privilégier des lieux en forêt qui ont des qualités acoustiques. La couverture forestière a parfois des qualités, des vertus, qui peuvent s’approcher de celles d’une conque acoustique. On peut trouver des conditions tout à fait satisfaisantes pour le public, les instrumentistes ou les chanteurs. On a beaucoup d’artistes qui nous ont dit « C’est incroyable, cette expérience ». Ce n’est donc pas forcément une mauvaise surprise et jouer en extérieur ne constitue pas seulement une contrainte. On peut réunir des conditions satisfaisantes, même si elles imposent, il est vrai, un changement dans la manière de jouer. Ça nécessite une adaptation… Sur le plan pratique, nous sommes là pour ménager les artistes. Nous avons une voiturette électrique pour transporter les instruments. Des bénévoles et les régisseurs aident aussi les artistes à déplacer pupitres et tabourets. C’est un travail d’équipe. Les artistes sont très entourés.
Le 6 mars dernier, le président du Festival, Bruno Ory-Lavollée, a adressé à la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) un plaidoyer en faveur des concerts en extérieur… Cette immersion musicale dans la nature, vous souhaitez donc qu’elle soit généralisée ?
Alexandra Letuppe : En fait, il évoquait de manière assez générale l’importance que pouvaient avoir dès cet été et dans les années qui viennent des « scènes vertes ». L’objet de sa lettre était de faire valoir la nécessité d’intégrer, dans une démarche d’équipement du territoire, une enveloppe qui permette un investissement commun de l’État et des collectivités territoriales dans des lieux qui seraient des « scènes vertes » : des théâtre de verdure, des lieux étudiés et prévus pour donner des spectacles en extérieur. Dans certains pays européens voisins, les théâtres de verdure sont beaucoup plus répandus. Ils y constituent des lieux de spectacles réguliers. Ce n’est pas le cas en France. Dans ce contexte où nous risquons d’avoir de nouveaux épisodes d’épidémie semblables à ceux que nous avons vécu ces derniers mois, ces scènes pourraient être un moyen d’expression du spectacle vivant. En tout cas, elles seraient une garantie d’assurer dans de meilleures conditions sanitaires une alternative en cas d’impossibilité en intérieur…
Photos fournies par le Festival des Forêts Photo de têtière : Com des Images
Pour aller plus loin... Le site web du Festival des Forêts