Au Centre Pompidou, le manifeste de Björk et Aleph

Clang clang, clang clang, clang clang… Le bruit des escalators s’est estompé, provisoirement masqué par une voix. Une vingtaine de haut-parleurs diffuse en effet des enregistrements dans les escaliers mécaniques extérieurs du Centre Pompidou. La voix lit un texte en anglais avec un accent très prononcé. Ses intonations sont par moment quasiment enfantines et sa diction hachée, pleine de syllabes surarticulées. Ce fougueux expressionnisme, c’est bien sûr celui de l’Islandaise Björk, qui a conçu l’installation sonore avec le musicien et journaliste Aleph Molinari et l’Ircam. Nature Manifesto, leur manifeste commun, est inauguré le 20 novembre au 9 décembre 2024, en préambule du forum « Biodiversité: quelle culture pour quel futur ? ».

Les passants passent. Ils sont pressés d’entrer à la bibliothèque ou, au contraire, prennent le temps d’admirer sur leur droite, lorsqu’ils montent, le Sacré Cœur, l’église Saint Eustache ou la Tour Eiffel. Nombre d’entre eux se prendra d’ailleurs en photo au sommet, devant le paysage parisien. Qu’auront-ils perçu du paysage sonore, de cette voix démultipliée, dont le discours est entrecoupé de cris d’aras, de rires de primates et de pleur de nouveaux nés ? Il faudrait le leur demander…

Pour eux, en tout cas, l’apocalypse n’a probablement pas encore eu lieu. Paris est trop près, avec ses siècles d’histoire à perte de vue. Difficile de croire que ce monde a une fin. Pour Björk, au contraire, il appartient à un passé terriblement présent :

« il y a urgence
l’apocalypse a déjà eu lieu

et la façon dont nous allons agir maintenant est essentielle »

déclame-t-elle.

« après l’extinction massive
nous prendrons un nouveau départ
notre ancien confort a disparu
nous défilerons avec des grillons mutants dans des récoltes radioactives lumineuses

nous migrerons avec les gnous
parmi les orangs-outans en voie de disparition

un nouveau monde
avec l’émergence d’assemblages

et d’enchevêtrements rhizomatiques

avec la voix altérée d’un béluga
et d’un phoque à l’adn transformé
nous nous installerons dans des champs sonores de moustiques

nous trouverons la réciprocité sensorielle
dans tous les tissus écologiques conjonctifs
dans une strate sonore pionnière
de paons, d’abeilles et de lémuriens mutants

la biologie se réassemblera de façon nouvelle
et les micro-organismes s’accoupleront avec d’autres formes de vie pour guérir et s’adapter

dans des corps fructifères
et des champs d’information sensorielle
la toile de la vie se déploiera dans un monde de nouvelles solutions
comme les colonnes de basalte absorbent le carbone
ou lorsqu’un oiseau-lyre devient une tronçonneuse

la vie gagne

avec ou sans nous
après les fléaux et les pandémies
il y aura de nouveaux modes d’existence
de tisser nos corps en relation avec notre environnement

de décomposer nos anciens modes de vie
et échapper à la boucle de rétroaction

grâce à l’ingéniosité métabolique

le hurlement de nos ancêtres biologiques

repris par les esprits animaux

nous remédions aux chants d’oiseaux perdus
en dehors des niches de remplacement

parmi une tapisserie d’êtres

une nouvelle bio-diversité est atteinte

nous terraformerons la planète

dans une profonde morpho-genèse

à partir d’une île volcanique animiste
nous nous délecterons des dauphins à effet doppler qui passent à toute vitesse

des merveilles invisibles s’épanouissant
des entités énigmatiques hyphanéennes

la mémoire de nos gènes

formera un appel à l’action

moulez un nouvel accord de Paris sur le climat

cette fois atteignable

atteindre

atteignons-le »

Le manifeste se veut « post-optimiste ». La perte de biodiversité – sans précédent – et l’effondrement des écosystèmes sont à la fois rappelés et dépassés par la résurrection de voix d’animaux disparus. Björk et ses proches rêvent de résilience, de nouvelles combinaisons dans la nature. Passer. Le message va-t-il passer ? Atteindre. Quel public sera atteint ?

Photos : François Mauger
Pour aller plus loin...
La page du site web du Centre Pompidou présentant le forum « Biodiversité: quelle culture pour quel futur ? »
La page du site web de l'Ircam présentant la création

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