« Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux » écrivait avec le plus grand sérieux l’acerbe Alphonse Allais. Au pied de ses montagnes, Antoine Bellanger pratique le rire avec un sérieux qui confine parfois à la sagesse zen. Le label Un je ne sais quoi réédite en cassette audio Le jardin perdu, un album de chanson française à ranger entre « d » comme « dadaïsme » et « e » comme « écologie ». Ou encore à la lettre « m », entre « Manset » et « minimalisme ». A moins que l’on ait assez de sérieux pour le laisser tel qu’il est : dérangé…
Ce nouvel album, Le jardin perdu, a un sous-titre étonnant : « L’album qui sauvera le monde ». Comment sauve-t-on le monde en faisant de la la musique ?
Antoine Bellanger : « Je ne sais pas du tout… C’était une blague, faite sans trop réfléchir. J’essaie de bosser de manière écologique. On est toujours un peu perdu quand on parle d’écologie : on a l’impression que, soit c’est la fin de tout, soit on va sauver le monde ; il n’y a pas de juste milieu. Ça me faisait marrer de dire que ce disque allait sauver le monde. »
L’album a été produit avec trois fois rien : un ocarina, une voix, un synthétiseur… Qu’y entend-on, finalement ?
Antoine Bellanger : « Au début, je pensais ne pas produire de plastique. Il y a toute une part de paysages sonores que j’enregistre avec des walkmans à cassettes achetés dans des braderies. Les cassettes, que je ne voulais pas acheter neuves, je les ai récupérées dans mon village : j’ai demandé aux gens s’ils n’avaient pas des cassettes qui traînaient dans les greniers. Après, j’ai construit un ocarina en terre, que j’ai samplé. Ensuite, j’ai chanté mes histoires. »
L’ocarina correspond à l’une de vos autres activités : celle de céramiste…
Antoine Bellanger : « Je ne suis pas potier mais je travaille la terre activement depuis un an. Je trouve agréable de pouvoir construire des choses avec des éléments aussi simples et aussi infinis. C’est quand même assez jouissif de faire un instrument de musique avec de la terre. La musique et la poterie, c’est la même chose. Je cherche de l’argile autour de chez moi. Je construis mes tasses et je fais mes émaux le plus possible avec de la terre locale. »
Etes-vous à la recherche d’une sorte d’ « arte povera », comme disent les italiens, d’art pauvre ?
Antoine Bellanger : « Je fais probablement de l’art de pauvre, puisque je suis pauvre. Je n’ai jamais voulu acheter beaucoup de matériel. Ça n’a jamais été ma façon de penser. Je fais avec ce que j’ai, pour essayer d’en tirer le maximum. C’est peut-être ça qu’on appelle « l’art pauvre », je ne sais pas. J’aime aussi les choses très minimales. Je n’ai pas envie de me perdre dans des arrangements. J’aime faire simple. C’est ce que je fais depuis que je suis adolescent. Plus ça va, moins il y a de pistes dans mes productions. Peut-être que je finirai par le silence… »
Qu’est-ce que cet album doit au Pays basque, où vous résidez désormais ?
Antoine Bellanger : « Son ambiance… Je passe beaucoup de temps dans les espaces sauvages, dans les petites montagnes de chez moi, dans les forêts. Cet album lui doit beaucoup de temps passé avec les arbres et avec les animaux. Le Pays basque est un lieu où il y a beaucoup de langues différentes. Il y a bien sûr l’euskara mais aussi le français et l’espagnol qui se croisent. J’aime écouter ce mélange. Un personne peut, dans la même phrase, utiliser les trois. Je viens de l’Anjou et, là-bas, ce n’est pas du tout le cas. »
Ça nourrit votre poésie ?
Antoine Bellanger : « Oui, sur l’album, il y a un morceau en basque, que mon ami Bixente m’a aidé à écrire. Le basque est assez poétique, avec des images fortes, des choses assez simples. J’aime beaucoup ça. »
Comment ce Jardin perdu s’inscrit dans votre parcours de musicien, qui, semble-t-il, a commencé par le rock ?
Antoine Bellanger : « J’étais dans un groupe de rock qui s’appelait « Belone Quartet ». Puis je me suis lancé dans un projet solo qui s’appelait « Gratuit », qui était très très énervé, avec beaucoup d’électronique. Au fur et à mesure des années et des albums, je l’ai simplifié. Jusqu’au squelette : sur le dernier album, il n’y avait plus qu’un drone et du chant. J’ai fermé ce chapitre en arrivant au Pays basque. J’ai fait une longue pause et j’ai recommencé à l’envers. Au début, je n’enregistrais que la nature. Petit à petit, ces enregistrements sont devenus des décors, j’ai imaginé des mises en scène et des histoires en sont nées. »
Pour revenir à la notion d’ « album qui sauvera le monde », est-ce que produire un album de façon écologique vous semble une mission impossible ?
Antoine Bellanger : « Non, pas du tout. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde de l’art ne s’y met pas. C’est juste du bon sens. Je ne travaille que dans ce sens-là. Je choisis chaque support sonore pour qu’il ait le moins d’impact possible. A l’origine, Jardin perdu est sorti sous la forme d’un bracelet USB en céramique, fabriqué en 10 exemplaires avec des éléments récupérés. J’étais un peu gêné quand le label Un je ne sais quoi m’a contacté pour faire une cassette. J’allais devoir refaire du plastique. Mais j’ai écrit sur le livret comment effacer la cassette si l’auditeur veut mettre quelque chose par dessus. Il y a plein d’autres façons de faire. J’ai fait un vinyle avec des chutes de l’usine. Il a été compliqué de faire comprendre au presseur que c’était ça que je voulais mais ça s’est fait. Il y a beaucoup de manières de faire des supports sonores propres maintenant. On n’y réfléchit pas assez… »
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin…
La page Bandcamp d’Antoine Bellanger
Le site web d’Un je ne sais quoi