Anohni, c’est – pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi – Antony, le musicien qui avait marqué la première décennie de ce siècle avec un album à fleur de peau, I am a bird now. Depuis, le chanteur a publié d’autres disques et a définitivement changé de genre. Son premier album sous le nom d’Anohni date de mai 2016. Intitulé Hopelessness, il incluait notamment 4 degrees, l’un des titres les plus radicaux écrits à propos du changement climatique (« Je veux entendre les chiens pleurer pour un peu d’eau / Je veux voir les poissons le ventre en l’air dans la mer / Et tous ces lémuriens et toutes ces petites créatures / Je veux les voir brûler, on ne parle que de quatre degrés »).
Anohni revient cet été avec un disque placé sous les meilleurs auspices. « J’ai beaucoup pensé à What’s going on de Marvin Gaye, c’était une référence très importante dans mon esprit » explique-elle dans un communiqué de presse. « Certaines de ces chansons sont presque une réponse à l’appel de What’s Going On, une réponse donnée en 2023. Elles sont une sorte d’écho du futur à cet album d’il y a 50 ans. »
Publié en pleine guerre du Viet Nam, trois ans après l’assassinat de Martin Luther King, What’s going on traitait dans ses paroles de la pauvreté, des droits civiques, de la drogue, mais aussi d’écologie. My back was a bridge for you to cross, le sixième album d’Anohni, évoque lui aussi l’écologie, même s’il embrasse d’autres sujets plus personnels, comme la perte d’amis.
L’autre point commun entre les deux disques est bien sûr la soul. Anohni s’est associée au guitariste Jimmy Hogarth, qui a travaillé avec Amy Winehouse et Tina Turner. Les arrangements musicaux sont chaleureux mais rugueux, plus proches en cela de ce qui sortait des studios du Tennessee que de ceux de la Motown. La voix n’est qu’émotion ; il se dit d’ailleurs que ce sont souvent les premières prises qui ont été retenues.
Le disque s’ouvre sur le très classique It must change, irrésistible appel à la fin de toutes les pratiques discriminatoires. L’autre sommet de l’album est sa conclusion, Why am I alive now?. Anohni y chante encore d’une voix de soprano, haut perchée et vibrante, mais toutes les épreuves, les deuils, les périodes de découragement passées ou à venir s’entendent en arrière-fond. Même amortie par un tapis de cordes et de notes d’orgues éparses, sa culpabilité de survivante retentit : « Why am I alive now? / I don’t want to be witness / Seeing all of this duress / Aching of our world / Why am I alive now? / Why am I alive? / I don’t want to feel this / Aching color of our world / Why am I alive now? / Watching all this going down / All the animals around / Watching nature swoon and sigh / Watching all the water dry / Watch the sky fall to the Earth / Birds and insects looking for / For a place to hide » (« Pourquoi suis-je encore en vie ? / Je ne veux pas être le témoin / Voir toute cette contrainte / La souffrance de notre monde / Pourquoi suis-je encore en vie ? / Pourquoi suis-je en vie ? / Je ne veux pas ressentir ça / La douloureuse couleur de notre monde / Pourquoi suis-je encore en vie ? / Regarder tout s’abîmer / Tous les animaux autour / Regarder la nature s’évanouir et soupirer / Regarder toute l’eau sécher / Regarder le ciel tomber à terre / Oiseaux et insectes à la recherche / D’un endroit où se cacher »).
Pour répondre aux questions que posait Marvin Gaye en 1971, il suffisait d’ouvrir les journaux. Celles qu’Anohni pose en 2023 sont malheureusement plus embarrassantes…
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web d'Anohni