Chaque grande ville bourdonne à sa façon. C’est ce que démontre Joseph Kamaru sur Natur. L’artiste kényan, qui s’est installé à Berlin en 2020, y fait le portrait de sa cité d’origine, Nairobi. Un portrait nocturne, fouillé (l’unique pièce instrumentale qui le compose dure plus de 50 minutes), dense et abrasif, non dénué de beauté ou d’intériorité. Entre les climatiseurs et les lignes électriques détournées, le musicien se concentre sur la circulation de l’énergie, dont il capte le vrombissement avec des microphones capables de saisir ce que nos oreilles ne perçoivent pas ou plus. Tout dans cette odyssée voltaïque est fait de vibrations et de connexions, des matériaux qui gagnent en musicalité à chaque écoute. Les fréquences gémissent, le vacarme électromagnétique constant s’ordonne, l’inaudible se dessine.
Pourquoi alors avoir appelé cet album Natur plutôt que, par exemple, « Nairobi » ? D’abord parce que la faune est là, et bien là. Des oiseaux chantent par endroits, lors des pauses que ménage KMRU dans sa symphonie grésillante. Ailleurs, l’auditeur croit entendre des animaux passer, même si rien n’est sûr, même si tout peut être truqué, copié, rejoué (après tout, certains oiseaux s’amusent bien à imiter les sonneries des téléphones portables !).
Ensuite, parce que l’artiste – très sollicité : il est programmé dans certaines des salles les plus prestigieuses des capitales européennes, comme, à Paris, le Palais de Tokyo – pose la question de ce qui nous entoure. Qu’est-ce qui semble « naturel » aux habitants des grandes villes ? Qu’entendent-ils de leur environnement ? L’incessant bavardage électronique peut-il devenir un milieu de vie ? Quels sons leur indiquent qu’ils sont chez eux ?
Régulièrement, Joseph Kamaru invoque le concept d’ « écoute activée ». Avec ce premier disque pour le label anglais Touch, elle est plus encore : attisée au plus haut point.
Photo de têtière : François Mauger