L’écoacousticien Jérôme Sueur aime-t-il Bach ? Rien, dans son nouveau livre, ne le dit ; il n’y évoque que Paul McCartney, le clarinettiste David Rothenberg, Beethoven et l’indépassable 4’33 de John Cage. Mais tout l’ouvrage est construit comme les Variations Goldberg du maître allemand : l’auteur propose 25 développements autour d’un même thème, celui du silence.
Malgré le titre, il y est peu question d’histoire avec un grand « H », en dehors d’un chapitre singulier, consacré à l’apparition des sons sur terre, investiguant du côté du Protérozoïque (-2,1 milliards d’années), de l’Ecidarien (-635 / -541 millions d’années) ou du Cambrien (-541 / -485 millions d’années). Mais des histoires avec un petit « h », il y en a des centaines, autant que des questions…
Le chercheur du Muséum national d’histoire naturelle revient ainsi sur ses expéditions en Guyane, l’oreille tendue vers les singes hurleurs (Alouatta macconnelli), ou dans la forêt du Risoux, au cœur du Parc naturel régional du Haut-Jura, à la recherche du grand tétras (Tetrao urogallus). On croise tout au long des 250 pages de ce livre touffu d’excentriques producteurs de sons, comme la grenouille des Seychelles (Sechellophryne gardineri), qui ne possède ni oreilles externes ni oreilles internes mais pourtant vocalise, la crevette pistolet (Alpheus spp.), dont la pince hypertrophiée est presque aussi bruyante qu’une arme à feu, ou la rare cigale tomenteuse (Tibicina tomentosa), la favorite de l’auteur.
On y réfléchit également à la façon dont chacun perçoit les sons. Jérôme Sueur s’attarde notamment sur la notion d’ « Umwelt », apparue en 1956 sous la plume de Jakob von Uexküll, qu’il explique ainsi : « Chaque espèce, chaque individu perçoit son environnement en fonction de ses capacités sensorielles, que ce soient des sensibilités acoustiques, optiques, chimiques, électriques ou magnétiques. Ces capacités peuvent être développées ou nulles, donc sensibles ou non à des formes différentes de stimuli venant de l’environnement. La réception et l’interprétation de ces stimuli construisent une représentation unique de l’environnement, l’umwelt, avec des propriétés spécifiques de détection, de discrimination, de reconnaissance et d’interprétation. L’umwelt de la tique est à l’évidence très différent de celui des humains ou des poissons-chats ». Dès lors, l’écoacousticien s’interroge : « Comment écouter à la place des autres, nous qui avons des millions d’années d’évolution divergente dans le dos ? ». Si « l’enregistrement des signaux ne reflète pas l’umwelt des animaux non-humains », « il n’est pas vain de comprendre l’autre, de déduire ce qu’il entend, ce qu’il écoute, les sons qui l’attirent, les sons qui le repoussent et de partager ainsi nos chants et nos silences ».
Une belle leçon de relativité mais aussi d’empathie, qui donne le ton d’un essai indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux questions d’environnement sonore et notamment au problème, particulièrement dénoncé par l’auteur, de la pollution sonore !
Photo de têtière : François Mauger
A lire : Histoire naturelle du silence de Jérôme Sueur Editions Actes Sud, collection Mondes sauvages