Tout passe, tout lasse, tout casse. Ou plutôt : tout doit passer, lasser, casser. L’Occident vit au rythme fou de « l’obsolescence programmée », cette stratégie industrielle qui rogne l’espérance de vie des produits vendus pour pouvoir en vendre d’autres très vite. Chaque année, selon Camille Lecomte de l’organisation Les Amis de la Terre, « au minimum 40 millions de biens tombent en panne [en France] et ne sont pas réparés », ce qui génère « 100 000 tonnes de déchets ».
La musique n’échappe pas à ce cycle funeste, même si les mots « obsolescence programmée » sont rarement prononcés, probablement parce que ses déchets matériels sont bien moins visibles que ceux de l’électroménager. Dans tout le champ musical, pourtant, le maître-mot semble être « nouveau ». Les maisons de disques s’organisent pour que les nouveautés se succèdent sans cesse, l’une chassant l’autre. Les médias suivent, toujours à l’affût de nouvelles tendances, de « révélations », d’ « inédits ». Même dans le champ de la musique classique, les artistes doivent sans cesse « relire », « redécouvrir », « réinventer » les partitions des siècles passés.
L’irruption du numérique n’a fait qu’amplifier cette tendance. « On observe ce phénomène sur l’ensemble des marchés culturels, spectacles vivants compris : une augmentation considérable de la quantité de produits culturels mis sur le marché » note Olivier Donnat, l’un des principaux analystes du ministère de la Culture, qui épingle « le sentiment diffus qu’il faut, dans des secteurs où l’incertitude est croissante, proposer une plus grande quantité de produits pour s’assurer du succès de quelques-uns. Ce syndrome de « la fuite en avant », la rentrée littéraire en est le meilleur exemple. »
Le compositeur et sociologue François Ribac, dans un article co-signé avec Valérie Ballereau, Fabrice Pirolli, Sophie Reboud et Christine Sinapi, interroge, lui, les valeurs du « monde du spectacle » : « Ce monde est basé sur le renouvellement constant des programmations (…). De fait, à l’exception de quelques spectacles vedettes, les productions sont fréquemment peu jouées et rarement reprises après l’année de leur création. Rien ne doit jamais être répété, tout doit toujours être remplacé, dépassé… L’obsolescence programmée est donc au fondement de ce monde et en France peut-être plus que dans d’autres pays ».
Tout passe, tout lasse, tout casse… Mais jusqu’à quand ?
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Photo : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... https://hal.archives-ouvertes .fr/hal-01672698 https://www.consoglobe .com/garantir-objets-amis-terre-cg https://www.culture.gouv .fr/Actualites/Marches-du-livre-et-de-la-musique-comment-evolue-la-diversite-des-consommations