2025 est très officiellement l’année du centenaire du compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez. Cet anniversaire en cache un autre, celui de la disparition de Pierre Schaeffer, le 19 août 1995, près d’Aix-en-Provence. Ce pionnier de la musique concrète a, juste après la guerre, dynamité le solfège en introduisant les bruits du quotidien dans ses compositions. Qui, aujourd’hui, s’ouvre à tous les sons ? Qui sont ses héritiers ? Pour peu qu’ils aient moins de 40 ans, Art Zoyd Studios les invite à se faire connaître, dans le cadre de l’appel à projets « Études de bruit 2025 ». Qu’ils se dépêchent : ils n’ont que jusqu’au 6 avril pour faire acte de candidature. Les explications de Kasper T. Toeplitz, compositeur et musicien associé à Art Zoyd Studios…
Pour quel dispositif Art Zoyd Studios lance-t-il un appel à projet ?
Kasper T. Toeplitz : « Voilà quelques années qu’avec Art Zoyd Studios (Art Zoyd étant le nom d’un groupe, Art Zoyd Studios celui de sa structure) et le collectif Mu, nous avons développé un logiciel de géolocalisation musicale qu’on place où on veut. Là, en l’occurrence, il est placé face au Phénix, la scène nationale de Valenciennes. Les compositeurs ou les artistes sonores peuvent générer des sons et les placer où ils veulent. Ces sons, les auditeurs les entendent et peuvent les remixer eux-mêmes via une application sur téléphone. L’application agit en fonction de l’endroit où l’on est ou de la vitesse à laquelle on se déplace dans le périmètre. »
En 2025, l’appel à projet prend la forme d’un hommage à Pierre Schaeffer…
Kasper T. Toeplitz : « Cette année, ce sont en effet les 30 ans de la disparition de Pierre Schaeffer. Personnellement, j’estime qu’il est l’un des plus grands penseurs de la musique. Son apport à la pensée de la musique a été énorme, peut-être plus grand que celui de Schoenberg. Schoenberg a, en gros, libéré les notes de la tonalité mais on en est resté à 12 notes. Alors que Schaeffer a amené tout le monde sonore autour. On est parti de cette idée là et on s’est posé la question : qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ? Ses « Etudes de bruit »… J’imagine que, lorsqu’il les a faites, c’était très révolutionnaire de parler de bruit ! A cette époque, même la percussion était très peu utilisée, très peu intégrée à l’orchestre. Lui, il a pris les bruits du monde qui l’entourait. Aujourd’hui, la musique n’est plus aussi réfractaire au bruit, il y a même des courants musicaux qui s’en réclament. Je pense notamment à la musique noise, qui est l’une des musiques les plus intéressantes du moment. Se demander ce que veut dire cette installation sonore dans laquelle on peut se mouvoir et que l’on peut soi-même remixer, c’est se poser la question du bruit aujourd’hui, du bruit en tant qu’élément musical, mais aussi du bruit du monde dans lequel on vit. Depuis Schaeffer, tout a changé, d’un point de vue sonore. Sa première étude portait sur les locomotives et nos locomotives ont bien changé, tout comme nos voitures. Dans une autre étude, il utilisait des saucières, c’est-à-dire des casseroles. Toute la mode des blogs culinaires et des émissions de pâtisserie a modifié le statut du cuisinier. Être cuisinier devient, si je puis dire, le summum de la réussite sociale. Alors que, dans les années 1940, si on poussait son fils à être cuisinier, c’est qu’il avait raté ses études d’ingénieur. »
Quand pourra-t-on entendre l’œuvre sélectionnée ?
Kasper T. Toeplitz : « Le vernissage aura lieu aux journées du patrimoine, à la mi-septembre 2025. Ce qu’Art Zoyd Studios propose, ce n’est pas seulement de dire : « Créez un truc ». On va au-delà. On met à disposition un « RIM », un « réalisateur en informatique musicale », ce qui est l’une des spécificités d’Art Zoyd Studios. Dans les années 2000, il y en avait un peu partout ; maintenant, il n’y en a guère plus qu’à l’Ircam ou chez nous. Cet assistant aide le compositeur à écrire du code, à affiner la partie électronique. C’est important… »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
L'appel à projet d'Art Zoyd Studio