Electroplume : « C’est l’histoire du dernier oiseau de son espèce »

Environ 20 millions d’oiseaux disparaissent chaque année en Europe. Avec le temps, les campagnes du vieux continent perdent ainsi des centaines de millions d’individus et autant de vols ou de chants particuliers. L’idée de consacrer un disque à ces disparitions peut sembler terriblement mélodramatique mais Christophe Piot, l’homme-orchestre qui se fait appeler « Electroplume », contourne cet obstacle en centrant son projet sur des espèces qui n’existent plus mais dont il restitue la majesté en quelques mélodies ouatées. Une célébration tout en douceur, dont il livre ici les secrets…

Vous préparez la publication d’un nouvel album dédié aux espèces d’oiseaux disparus. Comment fait-on pour recréer le chant d’une espèce disparue ?

Electroplume : « Il n’y a pas de méthode officielle, vérifiée et approuvée. J’ai commencé par choisir les espèces dont je voulais recréer le son. Je les ai choisies en fonction de leur nom, de leur histoire… Certaines espèces ont disparu mais il reste tout de même des espèces de la même famille encore vivantes. Je suis allé écouter les oiseaux les plus proches. J’ai consulté les bouquins qui parlent des espèces disparues : parfois, il y a des descriptions de chants. Je me suis aussi intéressé à l’environnement sonore, au lieu dans lequel l’oiseau vivait. Avec tous ces paramètres, je me suis dit que tel oiseau devait générer telle sorte de son. Le rythme et les mélodies restent du domaine de l’imagination. En essayant de respecter mon cahier des charges, j’ai réinventé des chants. C’était de toute façon l’idée de ce projet : avoir plus de liberté musicale que sur les autres albums. Je n’étais pas obligé de respecter le chant de l’oiseau tel qu’il est, pour qu’on puisse le reconnaître. »

Lequel de ces oiseaux disparus vous est le plus cher ?

Electroplume : « Je n’ai pas de favori. Celui qui a été à l’origine de ce projet, c’est l’archæoptéryx, parce qu’il est à l’origine des oiseaux. Celui-là avait vraiment du sens. Les autres ont tous leur intérêt, leur spécificité. Le mot « disparu » a quelque chose de définitif. En allant chercher des informations dans des bouquins ou sur Wikipedia, on a parfois l’impression que ces oiseaux ne sont pas totalement disparus : ils sont là, décrits précisément. Par contre, on n’a aucune idée de leur chant. C’est ce qui est vraiment perdu. J’aurais beau proposer des chants, ils ne seront jamais scientifiquement validés. La première fois que je suis tombé sur l’Egothèle calédonien, j’ai lu qu’il n’était pas encore classé comme disparu, parce qu’il reste un espoir de trouver quelques individus. Le temps d’attente, de précaution, habituel est aujourd’hui largement dépassé. Entre temps, j’ai rencontré Jacques Comolet-Tirman, du Muséum national d’Histoire Naturelle, qui m’a dit que, non, il n’y a plus d’espoir. Mais, lorsque j’ai entendu parler de l’Egothèle calédonien, j’ai également lu un article qui disait qu’il n’y avait pas les budgets nécessaires pour aller le retrouver. J’avais presque envie de prendre un billet d’avion et d’aller en Nouvelle-Calédonie. Très vite, je me suis dit que, si les gens qui vivent là-bas ne le voient plus, je n’avais aucune chance de l’entendre mais cet élan m’a fait comprendre à quel point on a envie que ces espèces ne disparaissent pas. C’est bien sûr futile, dérisoire. »

L’album, au final, regorge de mélodies majoritairement lentes, souvent jouées sur des instruments électroniques. Qui joue à vos côtés ? Et quel effet souhaitiez-vous produire sur l’auditeur ?

Electroplume : « Effectivement, il y a pas mal de titres assez lents. J’ai joué une bonne partie des instruments : le vibraphone, la marimba, le xylophone, le piano… Mon ami Jules Billé, qui est contrebassiste, a joué de la contrebasse et du violoncelle. Un ami musicien chilien, Christian Zaraté, est venu jouer de la flûte traversière et de la clarinette. Il y a ausssi Gaël Ventroux à la basse, Etienne Arnoux à la guitare, Romane Brun au trombone, Pascal Boucaud à la voix et à la basse… Ce sont des musiciens avec qui j’ai l’habitude de jouer, des amis. Etienne joue sur un morceau, Grive de Bonin, qui est un hommage à mon père. Comme Etienne est un ami d’enfance et que mon père aimait beaucoup son jeu, il me semblait symboliquement intéressant de l’inviter à jouer sur ce morceau. Il est étrange qu’au final, j’ai tant de morceaux lents et doux, alors que j’avais envie d’un répertoire joyeux pour mes concerts. Parler des disparus, je ne voulais pas que ce soit plombant. Je ne voulais pas ajouter une couche de pathos sur le pathos. J’avais envie de quelque chose d’assez lumineux, d’assez positif. Au final, les musiques sont calmes mais pas sombres. Il n’y a rien de trop nostalgique. »

Comment traduire le titre Solow ? « Si bas » ?

Electroplume : « Oui, « si bas », parce que le nombre d’oiseaux d’une espèce peut être très bas, parce que l’énergie de l’oiseau peut être très basse… Ce titre est l’histoire du dernier oiseau de son espèce. J’ai pensé l’intituler « Crépuscule » mais j’ai gardé le titre originel, plus ouvert. J’ai pensé aux derniers instants de la vie d’un oiseau, qui se rend compte qu’il n’a pas croisé ses semblables depuis très longtemps. Son énergie, son moral, le soleil à l’horizon, tout est bas. On pourrait aussi traduire par « si grave », parce que c’est le dernier de son espèce. Se rend-il compte qu’il emmène avec lui toute son espèce ? »

Par le passé, vous avez collaboré avec un Parc naturel Régional ou Birdlife international. Une autre organisation s’est-elle associée à vous pour ce projet ?

Electroplume : « Au début, il était question de travailler avec le Muséum d’Histoire Naturelle, à Paris. Jacques Comolet-Tirman semblait très intéressé. La personne chargée des projets artistiques a pris le dossier en main. Mon projet a été accepté par la commission arts-sciences. Moi, ce qui m’intéressait dans ce partenariat, c’était de pouvoir faire écouter mes re-créations de chants d’oiseaux par des spécialistes, pour qu’ils me disent si c’était plausible. J’avais envie d’un dialogue et peut-être d’une validation de principe. En fait, on s’est mis à parler d’un concert, qui serait trop compliqué dans le parc, trop compliqué dans la grande galerie… Tout était trop compliqué. J’ai fait plusieurs aller-retours à Paris et je n’ai jamais réussi à rencontrer les spécialistes des oiseaux. Au bout d’un moment, j’ai abandonné. J’avais envie de concret, j’ai avancé de mon côté. »

Quel est l’avenir de ces espèces disparues ? Allez-vous les emmener en tournée ?

Electroplume : « Je joue déjà un grand nombre de ces morceaux en concert, avec des arrangements différents, parce que je suis seul sur scène. J’ai bien l’intention de continuer à défendre ce répertoire sur scène. L’objectif d’Electroplume, c’est la scène. J’aime aller à la rencontre du public, présenter des oiseaux, montrer qu’on peut faire de la musique avec eux et passer un bon moment. Les albums sont une façon de promouvoir ce travail. Ils me permettent de me faire plaisir, de donner une dimension plus orchestrale à ma musique, alors que, sur scène, je joue seul. J’aime cette souplesse, cette légèreté, cette adaptabilité, qui me permet de rencontrer des publics très différents. »

Photo de têtière : Angela Ambquinn (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
Le site web d'Electroplume

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