C’est un scandale qui n’a que trop duré… Chaque année, les côtes bretonnes voient un nouveau débarquement d’algues vertes, à l’odeur putride, aux vapeurs potentiellement mortelles. En cause : les engrais utilisés pour fertiliser les cultures et les déjections animales issues de l’élevage. Le problème dure depuis le début des années 70 et n’a cessé de gagner en gravité. Pourtant, il a fallu attendre la parution d’une bande dessinée, Algues vertes, l’histoire interdite d’Inès Léraud et Pierre Van Hove pour que ses causes et ses conséquences soient expliquées au public. Le claviériste François Joncour, connu sous le nom de « Poing », et les trois membres du groupe Mnemotechnic – Anthony-Mehdi Affari à la batterie, Xavier Guillaumin à la basse et au synthétiseur, Arnaud Kermarrec-Tortorici à la guitare et au chant – se sont alliés pour mettre en musique la bande dessinée. François Joncour explique pourquoi et dévoile ses projets suivants…
Qui a eu l’idée de porter sur scène la BD Algues vertes, l’histoire interdite ?
François Joncour : « A l’origine, c’est une idée d’Arnaud Kermarrec-Tortorici, un musicien brestois qui officie dans le groupe Mnemotechnic, un groupe plutôt noise rock. Le groupe a sorti plusieurs albums et a tourné un peu partout en France (mais plutôt dans des réseaux alternatifs). Pendant le confinement, il s’est passé deux choses pour lui : d’une part, il a lu cette bande dessinée ; d’autre part, les réseaux dans lesquels il avait l’habitude de jouer ont tous fermés. On a l’impression que c’est déjà très loin, on oublie notamment que les concerts assis étaient privilégiés. Il s’est dit « Je vais aller vers une forme hybride, qui pourrait être entendue et vue assis ». Il a eu l’idée de ce BD-concert. Ses deux acolytes de Mnemotechnic étaient partants. Il m’a demandé de les rejoindre pour jouer du synthétiseur modulaire. On s’est retrouvé à quatre. La première a eu lieu en mai ou juin 2022 et la dernière sera donnée en juin 2025. On a joué plus en dehors de la Bretagne qu’en Bretagne. Sur une soixantaine de dates, la grande majorité s’est même effectuée à l’extérieur de la Bretagne, pour des raisons assez évidentes. »
C’est un succès. Comment l’expliquez-vous ? A quelle demande du public répond ce spectacle ?
François Joncour : « Ce qui nous a animés, c’était l’envie de porter un propos politique. C’était une motivation commune, celle d’un propos plus dense sur scène. Un concert peut être un moment de loisir, de divertissement mais, là, on avait envie d’un temps qu’on peut appeler « politique », parce qu’à la lecture de la BD, on s’est rendu compte que les leviers étaient essentiellement politiques, comme les causes de l’apparition de ces algues vertes. C’est ce qui explique le succès de ce projet : il y a une envie réelle de politique, pas au sens étroitement politicien mais au sens de la vie de la cité. On a senti un engouement pour cette forme, qui, selon les spectateurs, avait même tendance à sublimer le propos et à le rendre encore plus dense. Ce qui nous convenait parfaitement, évidemment… »
Comment réagit le public ? Que vous dit-il après le concert ?
François Joncour : « Il y a des personnes qui sont confortées. On ne prêche pas que des convaincus mais j’ai eu le sentiment que, parfois, on ravivait une flamme qui avait tendance à s’étouffer, à cause du découragement, à cause aussi d’une forme de lassitude dans la lutte. Lutter, ça use et on a affaire régulièrement à des militants. Mais j’ai aussi eu le sentiment d’une forme de communion. Le spectacle vivant a une force qui lui est propre : il permet à des gens de vivre une expérience ensemble. On a senti que c’était extrêmement précieux, surtout après le Covid, en 2022. On sentait qu’il y avait vraiment une grande envie de vivre ça ensemble et d’échanger à l’issue du spectacle. C’était très fort. »
La bande dessinée est parue en 2019. Cela fait 5 ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
François Joncour : « Il y a deux choses, une positive et une négative. Le problème des algues vertes n’est pas du tout résorbé, loin s’en faut. Il a peut-être même tendance à augmenter. On ne va pas entrer dans des débats très techniques mais les personnes que je côtoie et qui travaillent sur le sujet de manière scientifique ne sont pas très optimistes. Le versant positif est qu’il y a une prise de conscience et une information plutôt bien diffusées. Certaines personnes, en Bretagne, ont véritablement découvert ce sujet-là à l’occasion de la sortie de la bande dessinée. Le témoignage peut-être le plus fort est celui du président d’Eau et Rivières de Bretagne, l’une des plus grosses associations écologiques de France. Il nous disait qu’il en parlait depuis 20 ans à ses voisins mais que c’est la BD qui a poussé ses voisins à s’y intéresser. Ce n’est qu’une anecdote mais elle est significative. On voit là la puissance du média artistique, l’impact de discours autres que verbaux. C’est ça qui nous a poussés à aller vers cette forme-là. »
Cette aventure autour des algues vertes fait écho à votre intérêt pour le monde marin. Quelle suite allez-vous lui donner ?
François Joncour : « Mon intérêt pour le monde marin est effectivement toujours aussi fort. Il y a eu l’aventure Sonar tapes, qui a fait l’objet d’un disque centré sur les chercheurs et les enjeux écologiques sous-marins. Très prochainement, je vais sortir un nouveau disque qui fait suite à une mission polaire à laquelle j’ai participé il y a 2 ans. Je suis parti avec 3 chercheurs au Spitzberg, dans la station de recherche internationale de Ny-Alesund. Ce disque aura son pendant radiophonique, avec un podcast en 3 épisodes qui relate cette mission polaire. Je suis en train de mettre un point final à ces deux créations. Voilà pour le volet maritime mais il y a aussi le volet agricole qui me passionne énormément. On commence à réfléchir à la suite d’Algues vertes : la mise en récit et en musique de l’essai de Nicolas Legendre, Silence dans les champs, qui a obtenu le prix Albert Londres il y a peu. »
Est-ce parce que vous jouez sous le nom de poing que vous cherchez la bagarre ?
François Joncour : « Oui, on peut dire ça ; peut-être est-ce inconscient (rires). Ce qui est sûr, c’est que je m’intéresse beaucoup à la chose publique, à la politique en général et à l’écologie en particulier mais pas seulement. Je pense que c’est un tout. Les raisons pour lesquelles on voulait travailler sur des formes comme celles-ci (je dis « on » parce qu’on est vraiment devenu un collectif), c’est l’envie de ne pas cloisonner les disciplines. On pense que tous les problèmes qu’on qualifie d’ « écologiques » sont intrinsèquement liés à des problèmes sociaux et économiques. In fine, le terme de « politique » regroupe donc bien ces différents axes de travail. »
Photo de têtière : François Mauger
Autres images : Pierre Van Hove (coloriste : Mathilda)
Pour aller plus loin...
Le site web de Mnemotechnic
Le site web de François Joncour
Un article de Reporterre sur les algues vertes