Valentine Michaud : le saxophone et l’oiseau

Le saxophone n’est pas réservé aux musiciens de jazz. Avec le sien, Valentine Michaud saute toutes les frontières, jouant même en soliste pour l’Orchestre Philharmonique de Vienne. Elle publie en duo avec son frère, le percussionniste Gabriel Michaud, un album dédié aux oiseaux, sur lequel ils volent ensemble de la musique baroque au contemporain, se posant par instants sur de véritables enregistrements d’oiseaux ou de petits interludes électroniques. Quelques précisions depuis la Suisse…

Comment vous sont venues l’idée et l’envie de cet album ?

Valentine Michaud : « J’ai donné un concerto qui s’appelle Peacock tales, les « contes du paon », du compositeur Anders Hillborg. J’avais un costume d’oiseau et un masque de paon. Je me suis aperçu que c’est une pièce qui fonctionne très bien avec le public. Ça m’a lancée sur cette idée d’oiseaux. Il se trouve qu’Anders avait aussi écrit une petite pièce pour piano et saxophone qui s’appelle The Peacock moments. J’ai pensé à faire un album multi-formations autour des oiseaux mais, comme, au même moment, on commençait à travailler sérieusement avec mon frère Gabriel, on a cherché du répertoire et on s’est dit qu’il y aurait tout à fait de quoi jouer un album consacré aux oiseaux avec un saxophone et des percussions. Autre chose : on vient d’une famille de plasticiens. Nos parents sont dessinateurs. Les oiseaux, c’est un thème très visuel. Il y a plein de couleurs, plein de formes différentes. Ça correspond bien avec notre idée du récital, qui doit être très ouvert sur plein de choses, comme la musique contemporaine, le classique, des transcriptions, la création, le jazz… Le thème des oiseaux permettait une grande liberté de genres et de styles. »

En suivant la piste des oiseaux, vous mélangez en effet les genres et les époques, passant de Couperin aux Beatles. Quel critère a permis de réunir ces morceaux ? On se le demande lorsqu’on entend Night club 1960 d’Astor Piazzolla…

Valentine Michaud : « Oui, Night club 1960, on l’a gardé parce qu’on l’aimait bien et que c’était un clin d’œil aux oiseaux de nuit. Il est vrai qu’il est un peu moins connecté aux oiseaux que les autres. »

Qui est Kevin Juillerat, qui a écrit quatre « tombeaux-volières » pour ce projet ?

Valentine Michaud : « Kevin est un compositeur suisse, un jeune compositeur d’environ 35 ans. Il est aussi un excellent saxophoniste, avec qui j’ai fait mes études. Je lui avais déjà commandé des compositions. Il écrit une musique qui est toujours pleine d’humour, très fine. Il connaît extrêmement bien le saxophone. Quand on a eu l’idée de ce programme, on a tout de suite pensé à Kevin. Le cahier des charges était une sorte de catalogue d’oiseaux à la Olivier Messiaen. Evidemment, on s’est posé au départ la question d’inclure une œuvre de Messiaen mais ça posait des questions de transcription. Il nous fallait un catalogue d’oiseaux sur mesure et Kevin a relevé le défi. »

Il l’a fait d’une façon étrange, avec des « tombeaux », comme celui que Ravel avait dédié à Couperin…

Valentine Michaud : « Il n’y a rien d’étrange. Ce sont des tombeaux qui rendent hommage à des compositeurs qui se sont eux-mêmes pas mal occupé d’oiseaux. Le premier tombeau est pour Rameau ; il y a des clins d’œil dans cette pièce à La poule. Un autre est pour Mingus, qui a écrit lui-même Bird call pour Charlie Parker, « the Bird ». Il y a beaucoup de références cachées comme ça. »

Est-ce que les autres pièces d’auteurs contemporains sont également des inédits ?

Valentine Michaud : « Le Benjamin Attahir, oui. On lui a aussi commandé cette pièce. Il connaissait le contexte, il a choisi de ne pas imiter directement un oiseau mais de jouer avec l’idée de froissements d’aile. Sa pièce a un côté très virtuose, un peu colibri qui fait du surplace en battant des ailes très vite : c’est une longue ligne sinueuse qui ne s’arrête jamais, qu’il transpose tout le temps. La pièce d’Anders Hillborg est une réécriture. C’est une première aussi, parce que, normalement, la pièce est pour piano et clarinette. »

Comment obtenez-vous ce son de saxophone si changeant, qui correspond si bien à ce projet ?

Valentine Michaud : « Le saxophone est un instrument extrêmement polyvalent. On le connaît mal. Il est très repéré dans le milieu du jazz mais on y exploite une seule sorte de son. En fait, il est polymorphe. On peut produire des sons très percussifs, on peut produire des sons extrêmement chantants… Déjà, dans cet album, il y a plusieurs saxophones, le soprano et l’alto, ce qui me permet d’avoir un ambitus très large. Le soprano est très aigu, quelque part entre le hautbois et la flûte. L’alto est plus proche de la clarinette ou d’un violoncelle. On peut aussi faire des multiphonies : on a plusieurs sons en même temps. Il y a plusieurs moments dans l’album où je fais ça, notamment dans la pièce qui s’appelle Ku ku et qui propose une imitation de la poule assez naturaliste. Dans les pièces de Kevin, il y a aussi plein d’effets de son dans des tempéraments inégaux. Le Cassican flûteur, par exemple, est écrite avec des doigtés spéciaux qui nous plongent dans le tempérament inégal des oiseaux, qui ne chantent évidemment pas de façon diatonique. Avec un peu de travail, on arrive à faire beaucoup de sons différents, avec cet instrument. »

Photo de têtière : François Mauger 
Pour aller plus loin...
Le site web de Valentine Michaud

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