La « grande volière » : attention, saxophonistes perchés !

Ils sont cinq, tous saxophonistes : Michel Doneda, Lionel Garcin, Violaine Gestalder, Alexandra Grimal et Guillaume Orti. Chacun développent sa propre carrière, entre jazz et musiques savantes. Mais, régulièrement, ils se retrouvent pour donner des concerts harnachés au sommet des arbres. Alexandra Grimal explique le principe de cette « grande volière »…

Qu’est-ce que cela change de jouer perchés dans un arbre ?

Alexandra Grimal : « Ça change beaucoup de choses. Les repères et les sensations corporelles sont très différents de ceux qu’on a quand on joue au sol. On est un peu comme des astronautes. Chaque geste est beaucoup plus lent. Il ne faut pas faire tomber le saxophone, ce qui est quand même un challenge (il y en a un qui est déjà tombé). Il faut pouvoir accrocher la boîte, sortir le saxophone, accrocher les partitions… Tout ça prend 4 fois plus de temps qu’au sol. Il faut trouver comment s’installer, dans quelle direction jouer… L’acoustique est très différente aussi, parce qu’on a un grand territoire de sons. J’ai toujours la sensation que tout est toujours plus grand quand je suis en haut de l’arbre, parce que c’est très dégagé. On n’entend pas la même chose et on a une meilleure perception des oiseaux. »

Et qu’en pensent les spectateurs ?

Alexandra Grimal : « Je pense que, pour eux aussi, cela change tout. Ne serait-ce que l’émission du son… En forêt, l’acoustique est très bonne. Bien sûr, l’acoustique n’est pas la même si on est en plein feuillage ou si on est dans une trouée entre les branches. Le public nous entend d’en bas, comme si on était des oiseaux, et, en général, en théorie en tout cas, il ne nous voit pas. On est dissimulé. Les spectateurs cherchent la provenance du son, pendant un moment en tout cas, jusqu’à ce qu’il nous ait localisés, un par un. On n’est pas à côté les uns des autres. Les sons rebondissent d’arbre en arbre. »

Alors, comment parvenez-vous à vous coordonner entre saxophonistes ?

Alexandra Grimal : « On a des rendez-vous dans la musique. On sait comment on commence et comment on termine. Ça dépend des concerts. Certains sont plus écrits que d’autres. Parfois, c’est complètement improvisé. La dernière fois qu’on a joué, dans la forêt de Chambord, il y a eu une énorme averse, les partitions ont été noyées. Là, on reconstitue autre chose. On repart de ce qu’on avait élaboré au départ, à Royaumont. Il y a de nouvelles compositions inspirées par les oiseaux, écrites par Lionel Garcin, qui vont être jouées pour la première fois dans le cadre du festival Riverrun. On a des rendez-vous, des codes. On essaie de s’inspirer de la façon dont les oiseaux se parlent entre eux, c’est-à-dire soit de se répondre, soit de se superposer à des tessitures différentes. Les modes de relations des oiseaux induisent notre façon de jouer et de composer. »

A propos de composition, quelle influence a eu Olivier Messiaen sur ce projet ?

Alexandra Grimal : « Il est vrai que son Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie est très intéressant. J’y reviens en ce moment pour préparer le concert, parce que ça remet dans une certaine rythmique de l’oiseau. Je continue à m’inspirer, par exemple, de son travail sur la Fauvette à tête noire. Dans cet ensemble, La Grande Volière, on est tous inspiré par des gens différents. Au départ, à Royaumont, on a travaillé avec l’audionaturaliste Marc Namblard. On avait ralenti des chants d’oiseaux pour les analyser. Récemment, ça n’a pas le lien mais j’ai entendu la dernière pièce de Pierre-Yves Macé sur les chants d’oiseaux qui est intéressante, parce que lui aussi a travaillé sur des ralentissements et des transpositions. Il y a pas mal de monde qui travaille en ce moment sur les oiseaux. Ce ne sont pas forcément des influences directes mais on est tous baignés dans une conscience et une écoute plus grandes du monde sonore qui nous entoure. C’est lié à l’urgence écologique, bien sûr, et à la nécessité de changer notre rapport au monde. »

Se percher dans les arbres est devenu une façon de militer, des abords de l’autoroute A69 aux platanes qui font face au ministère de la Transition écologique. Militez vous, vous aussi, à votre façon ?

Alexandra Grimal : « Ce projet, à l’origine, a été imaginé, monté, conçu par le saxophoniste Lionel Garcin. Nous avons formé un collectif mais c’est lui l’initiateur du projet. D’une certaine façon, oui, nous attirons l’attention vers les oiseaux, un peu comme Habiter en oiseau de Vinciane Despret. Lionel cherchait à réensauvager les saxophonistes. Ça répond à tout un courant de pensée dont font partie Gilles Clément, Philippe Descola, le dessinateur Alessandro Pignocchi… Ça correspond à une espèce de déplacement de la vision du monde, où l’homme n’est plus au centre. L’instrumentiste n’a pas nécessairement besoin d’être au centre, sur une scène ou un podium. Nous, on est caché, on ne nous voit pas. On essaie de se fondre dans le paysage. C’est une disparition humaine, quelque part, pour un réensauvagement saxophonistique. »

Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin...
La page de présentation du festival Riverrun sur le site web du GMEA (Centre National de Création Musicale Albi — Tarn)

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