« C’est bête, on n’habite pas les chansons » remarque Ben Lupus au milieu de son premier album en solitaire, Forêts futures. Le jeune homme sait pourtant parfaitement où il habite et le chante tout au long de titres fréquentés par les roseaux, la lumière ou le vent. D’une voix murmurante posée sur des accords de guitare acoustique ou de subtiles nappes de clavier, le musicien brosse à petites touches un monde singulier, qui ressemble fort au nôtre. Discussion à propos de l’avenir lointain, de l’environnement et de l’objet disque…
Pourquoi avoir intitulé cet album « Forêts futures » ?
Ben Lupus : « « Forêts futures » est un nom que j’avais en tête depuis longtemps. J’ai sorti de la musique sous ce nom, « Forêt future » (au singulier par contre), de la musique instrumentale électronique. L’idée m’est chère. Elle répond aux questionnements actuels, à l’angoisse par rapport à ce qui va advenir sur notre planète. L’idée, c’est que la forêt était là avant nous. Même si elle est en souffrance, même si elle est mise à mal en ce moment, il arrivera un moment dans l’histoire de la terre où la forêt sera à nouveau partout. Je trouvais cette idée assez rassurante, notamment quand je vivais à Paris. Quand je sortais des choses sous ce nom-là, elles étaient assez confidentielles. Là, pour ce premier vrai album sous mon nom, après quelques EP, j’ai voulu revenir à ce nom. »
Après Paris, où êtes-vous allé ? Où écrivez-vous ces chansons ?
Ben Lupus : « J’habite dans les Alpes, à Annecy. C’est là que j’ai grandi. »
Dès le premier titre, Sur les sommets, il est question de sapins, de vallées, de rochers… L’environnement devient parfois le personnage principal de vos chansons ?
Ben Lupus : « C’est possible. En tout cas, c’est une composante importante, proéminente. Ce n’est pas non plus une volonté très affirmée, quelque chose de délibéré. Ce qu’il se passe, c’est que mes chansons parlent de moi, de ma vie et donc de l’environnement dans lequel j’évolue au quotidien. »
Oui mais peu de chanteurs écrivent à propos de leur environnement…
Ben Lupus : « Les chanteurs, je ne sais pas, mais beaucoup d’écrivains le font. Moi, je ne force pas le trait à ce sujet. Je me dis rarement « Tiens, je vais parler de ça ». Quand j’écris une chanson, j’accueille ce qui vient. C’est toujours un peu mystérieux, la façon dont les idées nous viennent. Concrètement, je crois que j’écris à propos de ce que je vois, à propos de ce qui m’intéresse. Peut-être ai-je une sensibilité un peu plus contemplative que la moyenne, une attention plus particulière à ce qui m’entoure. Je dis « peut-être » mais ce sont effectivement des traits de personnalité. Ce que je veux dire, c’est que je ne me suis pas dit « Tiens, je vais faire des chansons à propos de la montagne ». Les personnages sont parfois moins dessinés que le milieu dans lequel ils évoluent mais ce sont quand même des chansons qui racontent des histoires. »
Dans le très drôle Debout, vous évoquez le fait de chanter et à un moment vous écrivez : « Non mais franchement, à quoi ça sert ? / Il vaudrait mieux rentrer du bois / Penser à l’hiver pour une fois »… Alors, sans blague, à quoi ça sert de chanter ?
Ben Lupus : « C’est une grande question et je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. Pour moi, c’est une sorte d’habitude, bonne ou mauvaise, je ne sais pas. Voilà plus de 20 ans que je fais des chansons, de la musique. Ça me semble naturel. C’est comme ça que je m’exprime. C’est une activité à laquelle l’humanité se livre depuis suffisamment longtemps pour se dire qu’elle a une utilité quelque part. »
Forêts futures est également un livre illustré. Pourquoi avoir adopté cette démarche ?
Ben Lupus : « C’est la troisième fois que je fais à la fois un livre et un disque. Ils sont pensés en miroir. Ils fonctionnent indépendamment l’un de l’autre mais se répondent. Ça fait longtemps que je fais de la musique, ça fait longtemps que je fabrique des disques. Je les fabrique presque au sens propre puisque ma musique sort sur un label fondé avec les membres de mon premier groupe, Coming Soon. J’ai une idée assez claire de la façon dont fonctionne cette industrie. A un moment, je me suis aperçu que j’étais blasé des disques qui sortaient, du peu d’intérêt des gens pour l’objet disque. Je le comprends puisque moi-même je m’en suis un peu détaché, alors que pendant longtemps j’y étais très attaché. Je me suis demandé ce que je pourrais faire pour que les gens s’intéressent à nouveau à un objet physique. Comme j’ai toujours dessiné en parallèle de mes enregistrements, je me suis dit que j’allais faire des livres. Le premier était vraiment constitué d’illustrations des chansons. Pour Forêts futures, la démarche est plus aboutie. J’essaie de raconter des choses qui apportent un éclairage un peu différent. »
Photo de têtière : François Mauger