Il y a plus de mauvais auditeurs que de mauvais disques. Et, parfois, régulièrement même, celui qui pose les questions est un mauvais auditeur, qui n’a pas suivi, qui n’a pas saisi où l’artiste voulait l’emmener. Le problème s’est posé pour Mÿa, le troisième album de Robinson Khoury, longue rêverie aux accents rétro-futuristes, aussi fantasque que la bande-originale d’un film de science-fiction qui aurait été tourné de l’autre côté de la Méditerranée. L’auteur de cet album – empli des exploits d’un trombone virtuose, de voix sensuelles et de couches craquantes de synthétiseurs modulaires – précise sa vision…
Qui est cette « Mÿa » qui donne son nom à l’album ?
Robinson Khoury : « Ce n’est personne en particulier, personne de vivant. Ce n’est pas non plus une figure de la mythologie. Mais ce nom est un peu inspiré de la mythologie de Gaïa. J’avais envie d’un nom féminin pour parler d’une sorte de déesse créatrice de toutes choses. Dans cet album, je parle de création : de la création du vivant, de la création des cellules… C’est aussi un peu autobiographique puisque je parle de mes racines. L’album parle donc aussi de mélange, de biculturalité, de mon histoire et de ma façon de composer. Parfois, le seul lien entre mes sources d’inspiration est celui que je crée. Je pars parfois de courants musicaux qui peuvent être très éloignés et qui, réunis, amènent quelque chose de nouveau. »
Je note ce rapport avec Gaïa, la déesse qui a donné son nom à l’hypothèse de James Lovelock et Lynn Margulis à propos de la puissance du vivant, capable de modifier ses propres conditions d’existence. Quelles lectures vous ont inspiré ou nourri pendant la préparation de Mÿa ?
Robinson Khoury : « Bizarrement, ce ne sont pas des lectures mythologiques. Déjà, je ne suis pas un gros lecteur. Mais j’ai plutôt lu des livres d’Alain Damasio ou d’Aurélien Barrau, notamment des livres d’astrophysique où Barrau parle de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Il y a quelque chose de philosophique dans le recul que ces lectures apportent. Dans ces bouquins de vulgarisation, il y a des réflexions qui sont assez marquantes. »
Quel parallèle établissez-vous entre ces infinis et votre musique ?
Robinson Khoury : « C’est vrai que tout ça est impalpable. Il n’y a rien là de concret. Mais, en tout cas, c’est ce qui a inspiré cet album. Chaque morceau raconte sa petite histoire et l’ordre des morceaux en raconte une plus grande. »
A un moment, vous prenez la parole. « Quelque chose bouge », dites-vous sur le troisième titre. Vous parlez d’un « appel à la naissance d’une nouvelle ère » mais vous précisez tout de suite « l’ère de la matière ». Est-ce que nous ne sommes pas déjà en plein milieu de cette ère ?
Robinson Khoury : « Oui et non. En fait, je prends la place d’un narrateur qui assisterait à la création de toutes choses, il y a des milliards d’années. J’essaie de décrire des choses que je ne connais pas pour aller explorer de nouvelles sonorités. Je m’inspire aussi beaucoup de musique ancienne dans cet album. Je parle surtout des choses anciennes. J’essaie de réaliser une introspection dans le passé. En même temps, dans ce passage narratif, il y a une réflexion sur la façon dont une idée peut prendre forme, sur la façon dont vient l’inspiration, sur la façon dont elle devient réelle… Ça parle donc aussi de la composition. »
Par les temps qui courent, l’idée d’entrer dans une nouvelle ère m’a paru très actuelle…
Robinson Khoury : « Il y a dans ce disque une volonté de s’échapper du réel. Je ne parle pas concrètement de la situation actuelle de la planète. C’est une ode à la beauté de la création, de tout ce qui existe justement sur terre et un appel à la réflexion sur ce qui a été créé. Tout est magnifique ! Mais je ne prends pas vraiment parti en insistant sur le soin à porter à ce qui a été créé (même si je n’en pense pas moins). Je cherche une manière d’échapper à ces problématiques et de prendre de la distance, de la hauteur. J’aime imaginer comment c’était quand il n’y avait rien. »
Vous faites chanter deux femmes liées aux musiques orientales…
Robinson Khoury : « Je vous coupe parce que je préfère les mots « musiques arabes ». « Musiques orientales » veut tout et rien dire. Employer l’expression, c’est se positionner un peu comme le centre du monde. Où est l’Orient ? Où est l’Occident ? C’est la première fois que je dévoile mes origines, ce côté intime de ma musique. Il me semblait logique d’inviter Natacha Atlas, que je connais depuis 10 ans. J’ai joué sur 2 de ses albums. J’avais envie de l’inviter à mon tour. La rencontre avec Lynn Adib a été plus fortuite : on s’est récemment rencontré lors d’une soirée improvisée à Paris. Je me suis dit que ce serait formidable de l’inviter aussi sur l’album. Ces deux chanteuses ont des racines dans le monde des musiques arabes mais ont aussi cette biculturalité. J’ai l’impression qu’on parle un peu le même langage. Elles utilisent leur voix comme un instrument et sont capables d’improviser sans paroles, avec des onomatopées. Moi, j’aime bien penser le trombone comme une voix. Il y a un endroit où on arrive à se retrouver et à parler la même langue. »
Photo de têtière : François Mauger
Portrait de Robinson Khoury : Laureen Burton
Pour aller plus loin...
Le site web de Robinson Khoury